Après avoir vainement tenté de parler, Bernard Watson se leva de son lit d'un bond, toujours incapable de produire le moindre son. Sa femme n'entendit guère le désastre qui remuait dans sa chambre, profondément endormie et dont la quiétude contrastait affreusement avec l'agitation de la pièce. Le maire Watson prit Antoine par le poignet puis le porta dans ses bras avant de courir en direction de la fenêtre. Anaëlle ne put faire rempart, Watson la traversa comme un spectre, puis il sauta par la fenêtre avec le jeune homme dans les bras.
Lorsqu'ils touchèrent le sol, Watson se rattrapa sur ses jambes et posa le jeune homme à terre. Il donna à Antoine une chaîne d'argent :
-Mon garçon, garde ça près de ton cœur, attends ici, je ne serai pas long.
Terrorisé, Antoine ne put répondre. Il se contenta de rapprocher son poing serré de son cœur pour en approcher la chaîne d'argent. Il resta allongé dans l'herbe, incapable de penser. Pendant ce temps, Watson partit réveiller ses filles et sa femme en vain. Aucun d'entre eux ne put se réveiller, Anaëlle avait ensorcelé Watson de sorte à ce qu'il ne puisse émettre aucun son dans la maison et de sorte à ce qu'il ne puisse interagir avec quelqu'un.
-Tu m'as peut-être emprunté Antoine, Watson, mais plus jamais tu ne reverras ta femme et tes filles.
-Anaëlle... Tu commets le pire, mais tu es capable du meilleur... Pourquoi ?
-Tu ne me prendras pas par là, vieux débris, rends-moi le garçon ou j'anéantis tout ce que tu as chéri, tout ce que tu as construit et cette famille qui compte sur toi.
-Je vais te laisser détruire ma vie encore une fois... Prends leurs vies. Je te les donne si tu veux. Mais pour le salut du monde, ce garçon te détruira. Je suis curieux de voir comment tu vas subsister sans pouvoir t'abreuver de son énergie, l'ange ne saurait exister longtemps sans sa proie.
-Ainsi donc tu me donnes la vie de tes deux filles, et celle de ta femme ? Mon cher Watson, est-ce là ton dernier mot ?
-Mon dernier mot sera celui qu'Antoine t'adressera en mettant fin à ton existence. Adieu.
C'est d'un pas lent et dévasté que Bernard Watson se rendit au jardin. Il y trouva Antoine, endormi. Il le reprit dans ses bras et le porta jusqu'à chez son adjoint, Henri Gaston, également grand ami du maire. Lorsque Watson eut quitté la maison, Anaëlle se rendit dans la chambre des deux filles. Elle les regarda dormir un moment en se questionnant sur le sacrifice de celui qui fut autrefois sa victime. Il avait perdu une seconde fois, mais s'était adressé à elle avec l'esquisse d'un sourire et une larme sillonnant dans la ride sèche de son dur visage. Après un moment de réflexion, l'ange songea à Antoine. Combien de temps allait-elle être séparée de lui ? Y survivrait-elle ? Probablement pas, puisque l'ange nécessite sa victime pour exister jusqu'à ce que celle-ci disparaisse.
Anaëlle posa chaque main sur une cheville de la plus jeune des fillettes Watson, elle ferma les yeux, éprouva un regret l'espace d'un instant, et mit fin à ses jours en se repaissant de son essence. Elle se nourrit alors de ses souvenirs heureux avec un père aisé et présent, avec la vitalité joviale et enfantine de la petite. Lorsqu'elle eut fini, la gamine semblait peinte de marbre blanc tant son teint était livide; Anaëlle avait mit fin à ses jours d'enfant. Lorsqu'elle s'approcha de la plus âgée, Anaëlle s'arrêta brusquement avant de poser ses mains sur ses chevilles. Elle eut un sourire malicieux sur le visage un instant. Son regard avait été sombrement illuminé par un triste éclair de génie, elle s'apprêtait à commettre une élucubration des plus infâmes. Elle allait temporairement reporter la malédiction d'Antoine sur cette enfant. La jeune Watson allait devenir la nouvelle victime de l'ange, celle qui lui permettrait de vivre. Bien entendu, ce procédé exceptionnel serait temporaire, car moins rémunérateur que si la malédiction continuait de suivre Antoine. Anaëlle déposa son pouce gauche sur le front de la petite, qui se réveilla d'un bond. A la vue de l'ange, la petite cria, et la mère Watson déboula dans la chambre avec un rouleau à pâtisserie, affolée et paniquée, et incapable de voir Anaëlle.
L'ange noir approcha la bonne femme Watson et la fixa dans les yeux. La mère Watson, toujours incapable de voir l'ange, se crispa, lâcha son rouleau à pâtisserie, et s'effondra dans une dernière exclamation, elle était morte. La petite ne sembla pas de suite réaliser; elle se précipita vers sa mère et tenta de la réveiller les larmes aux yeux. La petite secoua sa maman, déposa plusieurs bisous sur ses joues, lui caressa les cheveux, fit comme si elle prenait sa température. La mère Watson était morte, et Annie venait de le comprendre. C'est alors que la gamine vint faire la même chose à sa sœur Evelyne, elle lui donna plusieurs baisers sur le front et les joues, lui tint la tête, prit sa température, la recoiffa, mais Evelyne aussi était bel et bien morte, l'âme emportée par l'immense cruauté d'un ange noir.
Annie se tourna alors vers l'ange, les yeux plein de désespoir et de rage :
-Vous avez fait quoi à ma maman ? Et à Evelyne, vous leur avez fait quoi ? Papa ! Papaa !
-Ma pauvre enfant, ma chère petite... C'est ton papa qui a tué ta sœur dans son sommeil, quand je suis arrivé il était en train de faire du mal à ta mère et il a sauté par la fenêtre... Je suis venu ici pour te réveiller et ta maman est venue. Sauf que ta maman n'a pas supporté de voir ta sœur morte, alors elle est tombée alors que j'étais en train de lui expliquer...
-C'est pas vrai parce que mon papa il m'a jamais fait de mal... Et il est gentil...
-Non ton papa était un méchant, regarde ce qu'il a fait à Evelyne... Si je n'étais pas passé par là, il t'aurait fait du mal aussi... Dis-moi comment tu t'appelles ?
-Je veux pas.
La petite fille se mit à bouder, assise sur le lit de sa sœur, elle s'allongea auprès de cette dernière et se mit à pleurer en silence dans le lit. Anaëlle se sentit alors bien comme le jour où Antoine perdit sa mère.
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Entre Le Noir Et Le Blanc
FantasíaDans les années 40, un événement fort étrange se produisit dans le massif montagneux des Alpes. Compte tenu des troubles qui avaient secoué L'Europe entière à cette époque, l'histoire que je vais vous conter fut oubliée de tous, bannie des mémoires...