La Cité

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Dans le cercle intérieur, il y a la Cité.

C'est là où je vis, où nous vivons tous.

Dans le second cercle, il y a les champs, où les Agriculteurs produisent toute la nourriture nécessaire aux quelques cinq cents habitants de la Cité.

Dans le troisième cercle se trouvent les Bois.

Et, lorsque les bois s'arrêtent, formant un cercle parfait ceinturant l'ensemble de la Communauté, se trouvent les Murs.

Une journée de marche à peu près, est nécessaire pour rejoindre ceux-ci, en partant du cœurde la Cité.

Les murs nous protègent,quoiqu'il puisse y avoir dehors.

Personne ne sait ce qu'il y a au delà des Murs.

Ils sont là depuis de si longues générations, que plus personne ne se souvient de leur construction, et aucun des livres de la Bibliothèque ne mentionne leur création.

Mais, si les murs ont été construits, c'est forcément pour une bonne raison, non ?

Certains habitants de la Cité imaginent à l'extérieur une terre colonisée par des extraterrestres, ou encore des monstres.

Ou encore le Néant, tout simplement.

De toute façon, pourquoi tenter de sortir ? La Cité est tellement parfaite !

C'est ce dont tout le monde est persuadé.

Tout le monde, sauf moi.



La Bibliothèque est indubitablement mon endroit préféré de la Cité.

Il s'agit d'un grand bâtiment situé au cœur de la ville, assez quelconque vu de l'extérieur. Mais, lorsqu'on pénètre à l'intérieur...

Pour les êtres friands de livres tels que moi, c'est le paradis. Ou presque.

Des étagères d'ouvrages couvrent les murs du sol au plafond et une multitude de bibliothèques transforment l'endroit en un véritable labyrinthe.

Mais moi, je connais cet endroit par cœur et ce, depuis ma plus tendre enfance.

A vrai dire, ma passion pour les livres ne date pas d'hier. Déjà enfant, mes parents m'emmenaient ici. Maintenant que j'ai dix-sept ans, je viens seule.

En fait, je n'habite pas très loin. Alors, j'en profite tant que je peux car, lorsque j'aurai atteint ma majorité, c'est à dire dix-huit ans, tout sera fini.

Jusqu'à seize ans, les jeunes de la Cité suivent des cours obligatoires de culture générale et autres connaissances basiques. Ensuite, ils on deux années de liberté, que, pour ma part, j'ai bien l'intention d'utiliser pour lire tous les ouvrages de la Bibliothèque, ou presque. J'en ai déjà dévoré une bonne partie.

Et la fin de ces deux années... C'est l'heure du Choix.


Comme tous les autres de dix-huit ans, je pourrai choisir entre trois types de métier.

Fermier, Ouvrier ou Enseignant. Les premiers cultivent les Champs. Les seconds travaillent à l'Usine, le plus grand bâtiment de la Cité, pour fabriquer tout le nécessaire à notre paisible existence. Mes parents font partie de la troisième catégorie, les Enseignants,c'est à dire ceux qui dispensent les cours.

Mais, aucune de ces trois affectations ne me fait envie. Enfin, peu importe.

Il me reste du temps avant mon Choix. Et encore de nombreux livres à lire.

J'en attrape un dans la section « Temps d'Avant ».

Le Temps d'Avant. Avant que les Murs ne soient construits.

Étonnamment, nous avons des traces de cette époque depuis longtemps révolue, alors que plus un seul témoignage de la construction des Murs ne subsiste.

Peut-être que je me pose trop des questions. Mais je n'y peux rien, cette absence de témoignages me met mal à l'aise.

Qui a bien pu créer ces Murs ?

Je le sais, je ne devrais pas me plaindre. La Cité propose un cadre de vie idyllique.

Pas de guerre, pas de vol,pas de meurtre, notre société est basée sur la confiance et est encadrée par des membres des trois groupes : Fermier, Ouvrier,ou Enseignant.

Et depuis sa création,tout cela a marché parfaitement.

Je me le répète près de dix fois par jour : je ne suis pas à plaindre.

Ceux qui sont à plaindre,sont ceux qui n'ont pas pu rentrer dans la Cité à temps, à sa création. Peu ont eu cette chance, et moi, je fais partie de leurs descendants.

Je suis une chanceuse,c'est ce que tout le monde dit.

Je retrouve mes amies lovées dans un canapé, occupées à feuilleter un roman à l'eau de rose. Quelle surprise ! Ces deux là sont de véritables fleur-bleues, contrairement à moi, l'aventurière insatisfaite.

M'entendant arriver, elles relèvent la tête. La rousse Lys soupire, et la brune Rosa exprime sa pensée à haute voix :

-Encore un livre sur le Temps d'Avant, Kat ?

Kat. Alors que la plupart des filles de mon âge portent des noms issus de ceux des fleurs, comme Rosa et Lys, mes parents ont choisi pour moi un nom dérivé d'un animal. En effet, Kat vient d'une langue parlée du Temps d'Avant, l'anglais, je crois, et signifie « chat ».J'ai vu quelques photos de cet animal dans les livres, mais il n'y en a aucun dans la Cité. Seuls les animaux d'élevage, pour leur lait,leurs œufs ou leur viande, vivent à l'intérieur des Murs avec nous. C'est dommage, car j'aurais bien aimé voir un chat en chair et en os. J'imagine déjà la conversation :

"Tu es un chat ? Ça alors, moi aussi !"

Finalement,je m'arrache à mes pensées pour répondre à Rosa :

- Oui, encore un livre sur le Temps d'Avant, comme tu dis...

Mon amie m'adresse une petite grimace dégoûtée et rétorque.

- Je ne comprends pas ce que tu peux trouver d'attirant à cette époque. Tu oublies toutes les catastrophes qu'il y avait jadis ? Les guerres, les maladies...

Dans un sens, elle a raison : la Cité n'a jamais connu un conflit de toute son histoire. Sa mécanique est parfaitement bien huilée,chacun se cantonne à son rôle et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles...

De plus, nous ne craignons plus les maladies : un vaccin administré à notre naissance nous immunise contre n'importe laquelle d'entre elles. Ainsi, nous sommes assurés de vivre paisiblement jusqu'à quatre-vingt à quatre-vingt-dix ans, âge vénérable où notre existence est vouée à s'achever.

Cette existence devrait me sembler idyllique. Mais j'ai à peine dix-sept ans et elle est tellement monotone que je m'en suis déjà lassée.

J'aime beaucoup Rosa et Lys, mais nous sommes tellement différentes !

Si la vie dans la Cité leur convient parfaitement, moi, je n'en peux plus !

Peut-être que je lis trop de livres. Mais j'avais vu dans l'un d'entre eux que la véritable vie consistait en prendre des risques et, surtout, d'être libre de les prendre, quels qu'ils soient.

Eh bien moi, je veux cette vie là.

Je veux la liberté.



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