Chapitre 6

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  Cassie était toujours immobile devant la porte de la maison. Elle avait trouvé le courage de traverser le jardin toujours encombré de déchets et de branches mortes mais maintenant elle était dans l'incapacité d'ouvrir la porte de la maison. Elle fit un pas en arrière puis le visage de sa mère se dessina dans son esprit. Elle ne pouvait pas laisser tomber, elle devait le faire, elle en avait besoin. Imaginer sa mère ne lui suffisait plus, elle avait besoin de la voir vraiment. Elle prit une grande inspiration et ouvrit doucement la porte. Cette dernière grinça d'une façon lugubre. Cassie fut parcourue d'un frisson mais prit sur elle et avança. Elle s'arrêta quelques minutes dans le hall et revit l'homme la coincer contre la porte. Elle se rappela l'odeur de son souffle alcoolisé. Elle tourna à droite et entra dans la cuisine. Et soudain, la réalité la frappa pour la seconde fois de la journée : l'homme était mort de sa main dans cette cuisine. Il s'était écroulé devant elle. Le sol en était la preuve, toujours tâché de sang à certains endroits. Tout était comme la dernière fois à une exception près : sa mère n'était pas là. Cassie quitta rapidement la cuisine et fixa la porte, espérant encore la voir. Mais bien sûr elle n'y était toujours pas.

Le cœur lourd, la jeune fille quitta la maison et reprit le tram. Lorsqu'elle rentra à l'appartement elle ignora royalement son cousin pour s'enfermer dans sa chambre. Elle n'avait envie de voir personne et encore moins celui-ci. De plus, elle devinait que ce dernier se demandait comment il pourrait lui annoncer qu'elle était une tueuse et elle n'avait vraiment pas envie de parler de cela. Charles n'insista pas. De toute façon, il ne se sentait pas le courage de lui annoncer une telle chose et il se doutait qu'elle était déjà au courant. Au lycée, tout se savait très vite et les jeunes n'avaient sûrement pas manqué de lui faire des remarques.

Charles quitta alors l'appartement à contre cœur pour aller travailler avec Alessandro. Il n'avait pas le choix mais au vu de la situation il aurait préféré pouvoir rester avec elle. Cassie entendit la porte d'entrée se refermer et devina qu'elle était maintenant seule. Les larmes coulèrent le long de ses joues et elle ne fit rien pour les retenir. Elle ne tenait plus, elle devait bien se l'avouer un jour ou l'autre. Sa mère était morte et lui manquait terriblement, elle n'avait plus aucun ami, plus personne à qui se confier, on se moquait constamment d'elle. Elle n'était pas aimée et cela lui devenait insupportable. Elle avait même réussit à décevoir Charles et depuis son « erreur » il était plus froid que jamais avec elle. Ne restait plus que Alessandro qui s'efforçait d'être neutre et ne lui parlait plus beaucoup non plus. Elle n'en pouvait plus ...

Cassie finit par s'endormir, épuisée. Elle n'avait même pas mangé ni ne s'était douchée. Elle portait toujours ses vêtements de la journée et était mal installée dans son lit. Pourtant, elle dormit comme cela toute la nuit, sans même se réveiller tant la fatigue l'assommait. Malgré ce long sommeil, Cassie ne se sentait toujours pas mieux lorsqu'elle se réveilla le lendemain matin. Elle avait encore plus peur que la veille de se rendre en cours. Elle avait tué un homme, elle était une meurtrière, comment pourrait-elle vivre avec cela ? Comment pourrait-elle affronter le regard des gens sur elle ? Elle aurait préféré rester invisible au final, comme avant. Mais plus rien n'était comme avant ...

Cassie attrapa son portable et regarda l'heure. Elle devait se lever et se préparer pour aller en cours malgré tout, elle n'avait pas le choix. Elle savait que sa mère ne serait pas fière d'elle si elle se comportait comme une lâche et fuyait. Elle s'était faite avoir, elle était rentrée dans la maison d'un homme qu'elle savait dangereux, elle avait été stupide et maintenant elle en subissait les conséquences. Elle devait assumer, c'est ce que sa mère lui avait toujours appris. Alors, la jeune fille se leva et fila rapidement sous la douche. Elle changea de vêtements, attacha ses cheveux en une tresse simple puis prit un imposant petit-déjeuner pour compenser le repas loupé la veille. Ensuite, elle quitta l'appartement pile à l'heure.

Comme chaque matin, elle se rendit à pied au lycée. Lorsqu'elle arriva devant le bâtiment, elle n'accéléra pas le pas. Ce matin, elle avait décidé de faire face, d'arrêter de se cacher derrière ses cheveux ou ses livres. Elle avait poignardé un homme pour se défendre. Il était mort, ce n'était pas une grande perte, c'était un dangereux criminel. Elle n'était qu'une victime, elle n'avait rien à se reprocher et elle comptait bien le montrer aux élèves de son lycée. Elle laissa donc les jeunes qui fumaient ou bavardaient dehors la fixer et chuchoter à son sujet sans faire attention à eux et entra dans le lycée. Elle croisa Blaise dans le hall et il la fixa lui aussi – c'était courant ces jours-ci. Cassie ne savait pas si cela lui plaisait ou au contraire si elle préférait sa vie d'avant, quand le garçon qui lui plaisait ne connaissait pas son existence parce qu'elle n'était pas une tueuse. Lui, elle ne réussit pas à lui faire face. C'était trop dur de le regarder dans les yeux. Pourtant, elle voyait bien qu'il ne la jugeait pas. Mais il était si beau que Cassie avait peur de rougir.

Elle passa donc rapidement à côté de lui et grimpa les escaliers pour rejoindre sa salle. Une fois à l'abri des regards, elle poussa un long soupir et se laissa tomber sur sa chaise. Ces premiers face à face avaient été éprouvant malgré toute sa bonne volonté. Cassie espérait vraiment pouvoir tenir la journée mais comme la veille, elle redoutait le moment où sa classe rentreraient. Arriverait-elle à leur faire face à eux aussi ? Le plus dur serait de ne pas sauter à la gorge des filles qui l'avaient piégée puis fait passer pour une menteuse mais Cassie savait qu'elle pouvait y arriver. Elle n'avait qu'à faire comme la veille et se concentrer sur le profil parfait de Blaise, sur ses petites manies et mimiques qui lui plaisait tant.

Contre toute attente, Cassie tint bon toute la matinée. Mais à midi, elle n'eut pas le courage d'affronter le self entier et décida de ne pas manger. Il fallait y aller doucement. Alors, elle grimpa les escaliers jusqu'à atteindre le toit terrasse du bâtiment. Il n'y avait jamais personne là haut car il était formellement interdit aux élèves de s'y rendre. Mais Cassie était si discrète que personne ne la voyait jamais faire. Une fois à l'air frais, la jeune fille prit une grande inspiration. Elle ne savait pas comment elle avait trouvé le courage de tout affronter ce matin alors que la veille elle n'en pouvait plus. Mais elle était fière d'elle et de ce qu'elle était en train d'accomplir. Petit à petit, le regard des autres lui importait peu et c'était une vraie victoire pour elle qui était si timide, si peureuse, si soucieuse des autres.

Cassie ferma les yeux quelques minutes puis alla s'installer près du vide. Elle n'avait pas le vertige, au contraire. Elle adorait les grands vides. Ils lui donnaient l'impression d'être plus libre et plus forte. Elle pouvait voir les gens en-dessous d'elle, petits comme des fourmis, courir dans tous les sens, se marchant presque dessus. Et cela la faisait rire, car elle se sentait très différente de ces gens-là. Elle se sentait différente à tout point de vue sans savoir pourquoi ou ce qu'elle avait vraiment de différent mise à part une timidité beaucoup trop prononcée et un certain goût pour la solitude.

- Tu comptes sauter ? » Questionna soudain une voix dans son dos.
Cassie sursauta et se retourna vivement. Son cœur accéléra davantage lorsqu'elle vit Blaise faire un pas vers elle.
- Qu'est-ce que tu fais ici ? C'est interdit ! » Rappela stupidement la jeune fille.
- J'allais te faire remarquer la même chose ! » Répondit Blaise en lui souriant.
Il la rejoignit près du vide et regarda l'horizon.
- J'aime la vue d'ici, lui confia-t-il après un moment de silence, je me sens plus ...
- Libre. » Termina Cassie d'une voix si faible que c'était presque un chuchotement.

Blaise détourna les yeux de la vue pour la regarder elle et pourtant, Cassie pouvait toujours voir dans son regard cette lueur d'émerveillement. Elle lui sourit puis baissa la tête et su immédiatement qu'elle devait rougir. Pourtant, elle ne se sentait pas mal à l'aise aux côtés de Blaise, sur ce toit où ni l'un ni l'autre n'avait le droit d'être. Au contraire, pour la première fois depuis des années, elle se sentait bien.  

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