chapitre 3

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Au lever du soleil, Dieter et Alaya s’éveillent en même temps au martèlement régulier du maréchal-ferrant. La faim les tiraille, comme chaque matin. Et le froid les saisit lorsqu’ils se débarrassent de la paille dont ils se sont recouverts.

– Qu’est-ce que nous allons faire, aujourd’hui ?

Alaya époussette sa tunique tachée et se tourne vers Dieter. Celui-ci s’est adossé à une botte de paille et examine sa longue cape noire. Elle ne sortira pas indemne longtemps de leurs longues errances.

– Je pense qu’on pourrait rester par ici un certain temps. Ils semblent avoir perdu notre trace pour l’instant.

– Et pour combien de temps ? l’interroge Alaya.

Dieter lève la tête. Le ton de sa compagne l’interpelle.

– Pour combien de temps ? insiste Alaya. Ils nous traquent depuis deux saisons ! Qu’est-ce qu’ils nous veulent ?

– Alaya… commence Dieter.

– Je suis fatiguée de fuir, Dieter.

– Nous en avons déjà parlé, se renfrogne-t-il.

– Oui, maintes et maintes fois, je sais. Mais il faudra bien que ça finisse. Je veux reprendre une vie normale, annonce-t-elle.

– Normale ? As-tu jamais eu une vie normale, Alaya ? rétorque-t-il vivement.

Surprise, la jeune femme le dévisage, étonnée par le ton de son compagnon.

– Alors, dis-moi ! reprend-il. Tu n’as jamais eu une vie normale ! Tes pouvoirs te viennent de ta naissance.

– Mais je n’ai jamais été pourchassée comme je le suis aujourd’hui ! précise-t-elle.

Et elle sait qu’il lui concède au moins cela.

– Cette traque n’a aucun sens, continue-t-elle plus doucement. Depuis deux saisons le roi Ravlic nous fait rechercher dans tout le pays. Il décrète que les sorciers sont des hérétiques qui menacent le royaume Saint et la garde royale nous traque comme de vulgaires hors-la-loi. Nous ne serons pas toujours aidés et cachés par les habitants du royaume. Je suis fatiguée, Dieter.

Pensif, Dieter finit d’écouter sa compagne. Ses cheveux gris tombent sur ses yeux et il regarde ses mains posées sur sa cape. Il était un travailleur manuel. Aujourd’hui, ses mains sont abîmées par le froid et il n’a pas touché ses outils depuis tellement longtemps qu’il a l’impression qu’il n’a jamais connu d’autre vie que celle-ci, à fuir sur les routes et se cacher. Le roi Ravlic semble bien déterminé à rechercher tous les sorciers du pays, les uns après les autres. Lui-même ne sait pas combien ils sont. Mais il ne doute pas que d’autres comme eux ont été traqués par la garde royale. Combien ? Et où Eleann peut-elle bien se trouver ?

– Dieter ?

Intriguée, Alaya s’est rapprochée de son compagnon. Elle s’agenouille devant lui. Il semble plongé dans ses pensées. Et très loin d’elle à cet instant.

Au bout d’interminables secondes, Dieter sort de son mutisme. Et Alaya ne peut que constater qu’elle a beau penser le connaître, elle ne sait rien de sa vie passée.

– J’ai connu une femme un hiver comme celui-ci, commence-t-il.

Alaya le dévisage lentement puis attend.

– C’était l’hiver dernier, réalise-t-il, en prenant un air songeur.

Dieter plonge ses yeux gris dans les yeux de la jeune femme. Elle ne ressemble pas à Eleann, mais certains jours, les yeux verts qu’elle pose sur lui le transpercent et le laissent sans défense. Il se surprend parfois à espérer qu’elle partage ses sentiments et le considère autrement que comme un compagnon de fuite.

– Je ne l’ai jamais revue depuis, reprend-il. Mais je me souviens de ce jour comme si c’était hier. Et je suis certain que s’il y a une personne qui pourrait nous aider, c’est elle.

– Qui est-elle ? veut savoir Alaya.
– C’est une sorcière, déclare Dieter. Eleann est bien plus puissante que nous. Je pense qu’elle pourra nous aider.

Pour Alaya, Dieter replonge dans ses souvenirs.

 Un jour d’hiver, une jeune femme avait fait irruption dans l’atelier de Dieter. Il était cordonnier dans un petit bourg et travaillait seul dans sa boutique. Ce jour-là, cela faisait des heures qu’il était plongé dans son travail. Il devait terminer des bottes pour le soir même. Il avait sursauté lorsque la lourde porte en bois s’était ouverte à la volée. Stupéfait, il s’était redressé et avait fait face à la jeune femme qui venait de franchir le seuil.
Toute de noir vêtue, elle avait pénétré dans son atelier avant même d’y avoir été invitée. Elle semblait sur le point de quitter sa boutique, quand son regard s’était alors posé sur lui. Ses longs cheveux noirs encadraient son visage et la faible lumière qui émanait de son plan de travail ne lui permettait pas d’en déceler les moindres contours. Mais il avait senti son regard scrutateur. Sa silhouette menue se découpait dans l’entrée, en contre-jour, jusqu’à ce qu’elle referme la porte derrière elle, la plongeant complètement dans la pénombre. Il pouvait encore deviner sa présence. Elle n’avait pas bougé de l’entrée où elle s’était arrêtée.

Avec méfiance, il avait tenté de lever sa lampe de travail. Elle avait commencé par vouloir se dérober à son regard, mais il avait eu le temps d’apercevoir son visage.

– Eleann était belle, déclare-t-il. Elle avait une prestance naturelle digne d’une femme issue d’un fin lignage. Elle était calme, aussi, poursuit-il en se remémorant sa première rencontre. C’est son air vulnérable qui m’a poussé à lui venir en aide. Mais elle n’avait pas besoin qu’on l’aide. Elle avait besoin d’un pouvoir de sorcier, un pouvoir qu’elle pourrait amplifier.

Stupéfaite, Alaya regarde son compagnon, essayant d’assimiler ce que tout cela implique.

Toujours plongé dans ses pensées, Dieter continue, sans même remarquer le trouble que suscitent ses paroles.

– Oui, Eleann était belle. Belle et très puissante.

Les Sorcier Des PlainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant