chapitre 2

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Le roi longe un corridor étroit en pierre, plongé dans l’obscurité, qui part du fond de la salle du trône, derrière un lourd drapé rouge en velours, et qui s’enfonce dans les entrailles du palais royal sur plus d’une centaine de pas. Il n’a pas besoin de lanterne, il en connaît les moindres recoins. Il s’arrête à seulement quelques pas de là, sur sa droite, devant une porte basse en bois épais. Il est le seul à en détenir la clé. Certain de ne pas avoir été suivi, il en franchit le seuil et referme la porte derrière lui.

***

À une journée de distance du palais royal, deux étrangers franchissent l’entrée d’une taverne, dans un petit village au pied de la montagne. Couverts de givre et les bottes trempées, ils espèrent juste se reposer dans un endroit sec et à l’abri du vent. Leur arrivée ne passe pas inaperçue. La taverne est pleine d’habitués qui rentrent d’une journée de labeur ou qui fuient le froid pour quelques heures. Ici, tout le monde se connaît. Quand les deux étrangers se présentent au tenancier avec deux pièces d’argent en demandant le gîte, ils sont conduits sans plus de cérémonie dans la grange, au fond de la cour, sans un regard. Pleine de bottes de paille, elle n’abrite que trois chevaux encore harnachés. Ils seront ce soir les seuls à dormir dans la grange.

Les deux étrangers posent avec précaution leurs pieds humides sur les barreaux de l’échelle qui les conduit sous le toit. Les planches, pourries par endroits, supportent leur poids, mais laissent passer des courants d’air froid. Ils se dirigent vers le fond, loin des chevaux et de l’entrée, mais non sans garder la possibilité de guetter quiconque pourrait en franchir les portes. Là, ils se débarrassent de leur cape, qu’ils étendent sur des bottes de paille pour les faire sécher.
Dieter et Alaya se regardent enfin, conscients qu’ils viennent d’échapper pour la énième fois à leurs poursuivants. Sans échanger un mot, ils s’assoient par terre et se blottissent l’un contre l’autre, adossés à une botte de paille, d’où ils peuvent surveiller l’entrée de la grange. Ils sont tous les deux frigorifiés. Alaya pose alors sa main droite sur le torse de son compagnon de route, plaquant son autre main sur sa propre poitrine. Elle entend leurs deux cœurs battre à l’unisson. Au moins, ils sont en vie. Mais pour combien de temps ? Elle cesse de penser à ces questions qui, jour après jour, demeurent toujours sans réponse, et se concentre. Peu de temps après, une bienveillante chaleur s’échappe de ses mains et enveloppe leurs corps qui se détendent petit à petit. Ils peuvent enfin se réchauffer.

 ***

 Au palais royal, nul ne sait où est le roi Ravlic. Comme à l’accoutumée, ses serviteurs se sont bien gardés de le suivre.
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Au palais royal, nul ne sait où est le roi Ravlic. Comme à l’accoutumée, ses serviteurs se sont bien gardés de le suivre.

Lorsque deux messagers à cheval franchissent le pont-levis, peu avant le coucher du soleil, le roi n’est toujours pas réapparu. Ils sont accueillis par l’intendant, qui les fait patienter dans la salle de banquet, devant un repas chaud et une cruche de vin. Ils profitent d’être seuls dans la grande salle pour s’extasier devant les trophées de chasse et les tentures qui ornent les murs de pierre. Le roi Ravlic ne chasse pas, mais leur précédent souverain partait chasser avec ses meilleurs soldats. C’était un autre temps. Les meilleurs n’avaient pas été enrôlés dans la garde royale. Le roi n’était pas à la recherche des détenteurs de magie, ceux dont le royaume n’entendait jamais parler. Personne n’étant autorisé à s’enquérir du message qu’ils apportent au roi, ils finissent leur repas sans se presser et patientent jusque tard dans la soirée.

– Dîtes-moi tout ce que vous savez.

Le roi vient de prendre place lourdement sur son trône. Prêt à recueillir la teneur du message que lui destinent les deux voyageurs, il fait un effort pour ne rien laisser paraître de sa propre fatigue après les longues heures passées à l’écart de ses gens. Il cache ses mains rougies par la chaleur sous ses longues manches. La peau de son visage autour de son nez et de ses yeux est si distendue qu’il semble atteint d’une affection. Ses serviteurs ont tellement l’habitude de son état, lorsqu’il ressurgit après des heures d’absence, qu’ils s’empressent de le dissimuler aux regards en éteignant les lanternes les plus proches de son trône. Mais le roi est dans un tel état d’hébétude qu’il n’y prend pas garde. Il fixe ses messagers tour à tour. Devant leur soudaine incertitude, une certaine impatience commence à le gagner.

– Seigneur, le voyage a été long et éprouvant, commence le plus jeune des deux.

Le roi ne réagit pas. Il semble attendre la suite. De plus en plus nerveux, le jeune messager ressent le besoin de se justifier.

– Les habitants ne se sont pas montrés coopératifs. Ils ont été hostiles dès notre arrivée.

– L’avez-vous retrouvée ?

Le ton est sans équivoque. Le roi se moque des circonstances dans lesquelles les deux officiers poursuivent la jeune femme. Ils ont tous deux pour mission de retrouver sa trace, et il veut maintenant savoir où en sont leurs recherches.

Le plus âgé des deux prend alors la parole. Son jeune compagnon ne comprend rien. Le roi peut statuer sur leur sort en quelques secondes. Il peut les destituer de leurs fonctions spéciales pour les faire réintégrer la garde royale. Or, la patience du roi dépend de ce que ses messagers ou ses conseillers lui apprennent, et surtout de la manière dont il reçoit les nouvelles. Et s’il y a bien une chose qu’il a remarqué, c’est que le roi semble fatigué, ce soir.

– La sorcière a disparu, annonce-t-il sans ambages.

Son jeune compagnon lui lance un regard, effaré, et guette aussitôt la réaction du roi.

– Elle n’a encore une fois laissé aucune trace de son passage, continue l’officier sur le même ton. Et les seuls témoins sont des gens du peuple qui l’ont hébergée. Ils se sont montrés plus que réticents à nous parler. Nous n’avons rien pu obtenir d’eux, sans trahir notre mission et notre souverain.

– Très bien, j’enverrai donc la garde royale. Ils sauront les faire parler.

Le roi se lève avec des signes d’impatience et congédie ses messagers. La chose est dite. Il a écouté ses messagers, et il a décidé que les soldats de la garde royale prendront le relais. Déconcerté, le jeune officier emboîte le pas à son compagnon, non sans regarder le roi qui a quitté son trône. Il a remarqué ses mains rougies par l’alchimie. Son père avait les mêmes. Il se demande alors pourquoi le roi aurait recours à des expériences d’alchimiste. Son père cherchait à acquérir une magie qu’il ne détenait pas. Il en était devenu fou.

Les Sorcier Des PlainesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant