Lost song

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Texte écrit le 13 août 2016 et un peu modifié sur tout le mois de septembre. Je me suis bien évidemment inspirée de Lost song, une chanson écrite par Serge Gainsbourg et chantée par Jane Birkin. Les personnages mis en scène appartiennent au jeu Amour Sucré.


Cher tu,

Je te vois d'ici lever un sourcil interrogateur sur le destinataire de cette lettre, mais c'est bien à toi qu'elle s'adresse. En admettant que tu la reçoives, bien entendu. Je n'ai pas encore décidé de ce que je ferai de ce petit bout de papier. Te le donnerai-je en mains propres ? Le jetterai-je dans un feu ? Te l'enverrais-je par l'intermédiaire d'un ami ? Je ne sais pas. Quant au pronom employé au début de cette lettre, ne te pose pas trop de question dessus. Je ne t'appelle plus par ton nom et le vouvoiement n'est pas de circonstances. Je refuse d'être trop familière mais la formalité ne me convient pas non plus. Par convention, ce sera donc « tu ».

Cher tu, donc. Cette lettre n'est pas un appel au secours, ni une demande, mais tu le sais sans doute. Tu as appris à savoir avec moi. Ça me rend folle de constater ça, de me rendre compte que tu sais beaucoup trop de choses sur moi. Que tu ne sauras pas oublier malgré toi et que tout restera dans un coin de ta tête. Tu m'énervais beaucoup à cause de ça, toi qui étais si superbement désintéressé savait pourtant prévoir quelles seraient mes réactions, quelques soient les circonstances. Je te détestais pour ça, et en même temps j'étais incapable de t'en vouloir. Ca signifiait beaucoup, le sais-tu ? Alors tu sais sans doute que j'écris pour me vider l'esprit, pour coucher sur papier les blessures que tu m'as causé. Eviter l'implosion. Ne pense pas que je t'aime encore, c'est faux. Ou du moins, je ne pense pas t'aimer au sens premier du terme. Ni te haïr. Mais j'ai besoin de toi, de ta présence, de tes conneries. L'amour dure trois ans, dit-on et ça n'a jamais été aussi vrai que pour nous. Nous sommes-nous réellement aimés, d'ailleurs ? Je pense que oui. Mais la passion s'est essoufflée, ne sont restées que les petites attentions du quotidien. Nous savons mieux que quiconque à quel point l'habitude nous étouffe, à quel point nous avons besoin d'action. Mieux vaut souffrir plutôt que s'ennuyer, n'est-ce pas ? Sur ce point, je suis d'accord avec toi. C'est sans doute pour ça que j'ai accepté la rupture malgré la déchirure.

Par pur masochisme, je suis retournée derrière le bar à côté de banque. J'ai toujours trouvé drôle que ces deux bâtiments soient installés côte à côte mais si on considère que les gens retirent de l'argent pour le dépenser, c'est bien pensé stratégiquement. Derrière ce bar, donc, je t'avais trouvé en train de gueuler. Tu étais bourré et tu avais visiblement consommé quelques substances pas très nettes. Tu avais besoin de ressentir quelque chose, d'adrénaline, sans doute. Je t'avais ramené chez moi, tu m'avais hurlé dessus et tu m'avais même giflée. Je t'avais trouvé con et je t'avais frappé aussi. Je t'ai ensuite reconduit chez toi et j'étais heureuse de te quitter, tu me fatiguais. Mais on s'est revus. Un croisement de regard dans un bar, des petits sourires dans la rue, des signes de main au magasin. C'est drôle que ça ait commencé comme ça alors que tu es si impatient et moi si téméraire. On a décidé d'un commun accord de se revoir derrière ce bar, d'un simple signe de tête. C'était drôle pour moi de te revoir ici sobre. Tu t'es foutu de ma gueule, moi de la tienne, tu me faisais rire et perdre la tête par moments. On s'est embrassés contre le mur crade, à côté de la porte de sortie dont la lumière du néon commençait à faiblir. C'était violent, passionnel, bon. Je ne sais pas si c'était bien, si j'avais vraiment aimé, mais j'en voulais encore. Et cette passion, j'en ai eu. Tu m'en as fait ressentir. Tu le savais, et moi aussi, que nous ne resterions pas ensemble éternellement, que tôt ou tard nous nous quitterions. Nous n'étions pas destinés à vivre ensemble et cet amour, cette passion éphémère me convenait parfaitement.

Tu me faisais rire, mais tu m'emmerdais pas mal également. Ton arrogance me tuait, tu taisais tes aventures. On s'aimait, on s'éloignait, on revenait. Finalement, plus que des amants, nous sommes un peu des aimants. On ne peut pas vivre l'un sans l'autre. On s'aime, on se déchire, on s'entretue, on s'empoisonne, on a besoin de ça. On s'est battus, haïs, trompés mais on s'aimait. On avait besoin l'un de l'autre et j'ai encore besoin de ta présence. Je la réclame et tu le sais. C'est pour ça que tu es parti, n'est-ce pas ? Il faut croire que tu es encore plus dingue que moi. Ce n'était pas un amour conventionnel, ce n'était pas non plus une relation conflictuelle. C'était nous, et bordel, ce que nous étions cons. Toi plus que moi. Tes mensonges, tes coups, tes aventures, ton arrogance, ta bêtise. Je n'ai pas voulu partir, te laisser. Me laisser. Je voulais retarder l'échéance, je savais que tout se terminerait un jour mais le plus tard possible. La claque mentale que je me suis pris quand tu es parti. Avec un air de connard, en plus. Je te revois encore en train de fumer à la fenêtre de la cuisine et me jeter au visage ces sept mots. « Tu me fais chier, j'me casse. »

Si tu t'ennuyais, je savais que c'était fini. Fini les coups, les conneries, les blessures, la passion. Tu t'es levé, est allé chercher ta guitare et tes fringues, a jeté ta clope et tu as franchi la porte de l'appartement. Je n'ai rien dit. Pendant des jours, je n'ai rien dit et je n'ai pas cherché à te retrouver. C'est pourquoi je n'écris cette lettre que maintenant que je suis certaine que nos retrouvailles risquent de nous faire souffrir. J'ai besoin de ça, de cette relation malsaine et de cette souffrance. Je t'ai revu hier, dans le bar cette fois. Tu étais en concert et les lumières de la scène créaient un contraste avec tes cheveux noirs. Ça a été un coup dur pour moi de te revoir avec cette chevelure ébène. La disparition de ton rouge qui symbolise si bien la disparition de notre passion me déchire. C'est douloureux et en même temps si délicieux. Je crois que tes yeux aciers ont brièvement croisé mes yeux bleus. Si tu as pu me voir, je suis contente. On se reverra dans les rues, on se regardera de loin refaire nos vies. Je ne pourrai pas m'empêcher de te trouver beau, de détailler ton corps, de t'aimer encore et toi non plus, pas vrai ?

On souffrira toujours de cette relation, le poison ne disparaitra jamais. Et ça nous va à tous les deux, toi et moi, ça ne sera jamais terminé, quel que soit le nombre d'aventures que nous aurons après. Et quand on sera fatigués de cette vie, on partira ensemble, on se détruira petit-à-petit jusqu'à la fin. Cette lettre, c'est la dernière que j'écrirais. Je suppose que tu dois écrire une chanson de ton côté. Cette chanson sera la dernière. Je sais quel est le titre, tu l'as mentionnée dans une interview. Lost song. Last song aurait été un titre plus adéquat, tu ne crois pas ? Mais tu en fais à ta tête, comme toujours. Moi aussi je n'en fais qu'à ma tête, alors j'irai l'écouter. Toujours. Nous deux, c'est pour toujours et à jamais. Nous n'en serions pas là sans ce brin de folie qui nous a détruits, n'est-ce pas ?

Je sais ce que je vais faire de cette lettre, maintenant. Je vais la garder. Et je la relirai à chaque fois que je me sentirai heureuse, ce doux poison m'anéantira comme ta chanson te détruira chaque fois que tu la chanteras.

En espérant que notre vie sera aussi misérable que possible,

Debrah.

Gainsbourg et cæteraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant