- Regarde, Annoushka ! Regarde, ses yeux.
Annoushka déchiquetait de ses canines pointues un morceau de viande rouge et élastique.
- Bleus, comme l'eau des puits, reprit-elle.
Elle se lécha les doigts, puis craqua l'os pour aspirer bruyamment la moelle. Elle reprit:
- Mai, mai ! Quel dommage que ce petit lapin brun se soit égarer devant la grande Annoushka du désert de Glahise !
Elle éclata de rire, un rire aussi gras que ses doigts épais. Elle se gratta énergiquement la peau du crâne, ce qui n'arrangea en rien l'état poisseux de ses tresses rousses. L'imposante femme assise en tailleur se releva avec souplesse, épousseta le sable collé à son pantalon brun, puis se pencha sur le corps fiévreux de l'enfant aux yeux bleus.
- Eh bien, il est beau ce gosse! Annoushka, tu es bien sûre qu'il soit un petit gars? fit-elle en souriant. Faudrait lui enlever sa culotte pour être sure !
Elle plaça sa main sous la nuque de l'enfant et le traina sur le sol, hors de l'ombre que procurait le rocher anguleux, aux allures d'épave sur une mer de grains jaunes. De son pouce et son index, elle lui écart a nouveaux les paupières.
- Eh oui, bleus de chez bleus ! On peut pas s'y méprendre.
Elle se grata le menton. Les bouts d'ongles de sa main qui n'étaient pas cassés étaient noirs d'un mélange de crasse et de sable.
- Alors, Annoushka, que vas-tu faire de ce petit bijoux?
Elle lui retroussa une des manches amples et pourpres, et plissa ses yeux devant le bras de l'enfant.
- Peau laiteuse, blanche, trop blanche. Avec une telle couleur, on devrait pourtant apercevoir les veines. Drôle de petit énergumène; et ces cheveux fins, blonds de surcroit, Annoushka déteste les blonds. On dirait des fils de sable, ta maman a du bien en prendre soin, avec une jolie brosses en poils de cactus doux. Mai, mai, t'es peut-être bien un petit Prince abandonné.
Elle lui frotta vigoureusement le bras; des pellicules blanches tombèrent dans le sable brulant.
- C'est bien ce que pensait Annoushka; une peau trop pâle pour être celle d'un être de la Terre Aride, et pas assez translucide pour celle d'un être de la Ville.
Elle continuait de frotter, et bientôt de petits lambeaux blancs se détachèrent du bras frêle.
- Annoushka a déjà connu un homme de la Ville. Bel homme, très bel homme, mais avec une peau bien plus translucide, petit énergumène. Tu ne pourras jamais tromper les Epouses du Desert. Eh bien, on ne t'as pas enduit de poudre a moitié, petite Altesse. Mai, mai ! Quelle drôle d'idée; enduire de blanc son enfant en espérant qu'il serra recueillit par un de ceux de la Ville! Par chance, tu es tombé sur Annoushka.
Apres avoir fait apparaitre la couleur originelle -dorée, du bras, Annoushka s'attaqua a l'autre.
- On dirait que tu mue, petit énergumène. Mais ne t'y méprends pas, Annoushka ne t'aides pas parce que tu as une fausse écorce, mais parce que tes petites tourmalines sous les paupières sont maintenant ses bijoux.
La femme aux tresses rousses continua de frictionner la peau des membres de l'enfant jusqu'à ce qu'ils recouvrent entièrement leur couleur naturelle qui, inondée du grand soleil blanc, avait des airs d'or tout juste fondu.
- Eh bien, quelle belle maman tu devais avoir ! Doré et azur, tes couleurs sont celles du désert. Mai, mai ! Toute cette poudre huileuse doit être bien désagréable.
Elle lui retira sa large tunique rouge afin d'achever son labeur sur le reste du corps.
- Eh bien, petit énergumène, tu n'es pas bien banal, pour sûre ! Douce Mirabaille, c'est bien la première fois que je vois un cas pareil, et pourtant, crois-en Annoushka ! Une Epouse du Desert en vois, des trucs bizarres. Ni petit gars, ni petite femme ! Quel prodige !
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Les Enfants de Mirabaille
FantasíaUne terrre de sable -Glahise; une terre parées de couleurs dorées et azures. Le vent brûlant tanne les peaux, ferme les yeux, assèchent les gorges, rend les rêves acides. Au loin, dans les yeux de milliers d'enfants, gronde le murmure colérique de...