L'Epoux

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- On va encore marcher longtemps, comme ça, dans le nul part ? S'écria Poivre, trois grands mètres derrière Annoushka.

-Le soleil s'est réveillé il y a peu de temps ! Bien sûre qu'il reste de la marche, fainéante !

Annushka et Poivre, comme à leur habitude, depuis qu'ils s'étaient rencontrés il y a quatre jours, ne cessaient de se disputer. L'humeur pourtant maussade de l'enfant n'avait pas empêché Annoushka à s'attacher à cet énergumène bien mystérieux. Poivre ramassait quelques touffes d'herbes, très rares, qu'il mastiquait lentement. Annoushka jeta un coup d'oeil derrière elle ;

- Regarde toi ! On dirais un lapin ! Tu fais honte !

Poivre ne répondit pas, mais ne cessa aucunement de mastiquer l'herbe grasse -chose étonnante, dans ce désert sec. Annoushka s'arrêta pour de bon. La distance s'était encore allongée, l'enfant s'arrêtant régulièrement pour ramasser de l'herbe, trainant les pieds -qu'il ne sentait pratiquement plus. 

- Vas-tu lâcher ces plantes ! Tu as des crocs, tu mâche de la viande ! Pas des touffes ! Cria-t-elle pour que le son de sa voix lui parvienne.

Le vent s'était levé, et s'épaississait, si bien qu'Annoushka commençait à faire preuve de signes manifestent d'inquiétude. 

- Plutôt mourir de faim, hurla-t-il.

- Mai, mai ! S'exaspéra-t-elle.

 Elle reprit sa route. Ce jour, le vent du désert était violent, chargé de grains de sables qui égratignaient la peau et se mêlaient aux larges tuniques humides de sueur. Poivre marchait avec grandes difficultés, s'empêtrant dans son grand vêtement épais et collant. Il sentait son odeur corporelle lui tourner la tête, et le soleil qui tapait sur son cuir chevelu le faisait ruisseler. Ses cheveux, d'habitude mousseux et flottants, étaient collés à son front, et ses doigts encrassaient de sueur les herbes qu'il fourrait dans sa bouche. 

- Je n'en peux plus, cria Poivre. 

- Supporte ! Le vent te séchera, le vent est sec.

- Ca m'est égal, je me déshabille !

- Douce Mirabaille ! S'écria Annoushka, horrifiée.

Poivre, exécutant ses dires, enleva la large tunique pourpre, qu'il laissant tomber par terre. Elle fut vite recouverte d'une fine couche de grains jaunes, qui collaient à l'intérieur. 

- Quel horreur, ce gros pan de tissu collant ! s'exclama Poivre, l'air soulagé de s'en être débarrassé. 

- Rhabille-toi ! Le soleil est trop fort ! Hurlait Annoushka en se rapprochant de lui à grandes enjambées.

Poivre éclata de rire et s'enfuit en courant, trébuchant sur les dunes et les trous de sable fin. Il se relevait, et riait de plus belle en voyant l'air furibond de sa protectrice, les tresses rouges claquant au vent. Le vent séchait les boucles humides de l'enfant, et le sable râpeux gommait la crasse. Il entreprit de grimper en haut d'une dune particulièrement élevée. Une fois en haut de la colline, il se retourna, essoufflé et les yeux brillants, et cria à Annoushka, en bas, qui entreprenait à son tour de monter l'abrupte et glissante paroi dorée:

- Mai, mai ! Comme on est mieux tout nu ! Tu devrais essayer, Annoushka !

- Je vais te couper la langue, insolente !

Il se retourna, face au soleil, et tendit ses bras vers le ciel. Il était de peau si dorée, si petit face à l'astre rond et jaune que Annoushka, plissant les yeux, ne distinguait pas même ses contours.

- Je possède le monde ! S'exclama-t-il.

- Tu possède surtout la bêtise, souffla Annoushka, rouge, la tunique pourpre pleine de sable dans les mains.

Les Enfants de MirabailleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant