Première Lettre : Le départ

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Très chère Margareth,

Voici déjà cinq jours que nous nous sommes quittés, vos yeux noisette embués de larmes. Vous me manquez tant. Chaque chose autour de moi me rappelle quelque chose de vous. L'agitation du train me fait penser à cette rue marchande que vous aimez tant. Les rires de mes compagnons sont semblables à ceux des enfants que vous gardez pour Monsieur Brûlard. Le ciel est bleu, comme la perle du collier dont vous êtes si fière. Les fenêtres et les portes claquent autant que vos chaussures, quand vous dansez. Et parfois, en fermant les yeux, je crois encore que le vent me porte votre parfum. J'aperçois votre silhouette dans les nuages. Mais vous n'êtes pas là.

Le contrôleur ne perd pas une occasion de jouer de son sifflet. Il aime nous rappeler à l'ordre, comme un maître d'école. C'est à peine s'il ne nous met pas au coin lorsque l'on rit un peu fort. Si seulement vous pouviez le voir, avec sa grosse moustache et son ventre, plus volumineux qu'une meule de foin. Il siffle si fort que son visage en devient rouge. Plus il s'énerve, plus ses joues se gonflent. Et plus ses joues gonflent, plus il en devient énorme. Il me fait penser à cette fable de La Fontaine. Celle que vous m'avez racontée. Une grenouille veut se faire aussi grosse qu'un bœuf, alors elle se gonfle tant et si bien qu'elle éclate ! Henri et Marcel le font courir d'un bout à l'autre des wagons. Je suis sûr qu'ils espèrent le voir exploser comme un ballon de baudruche. Ces deux-là sont vraiment insouciants. Ils ont les cheveux comme des blés et le regard malicieux ; je crois qu'ils sont frères. En tout cas, ils pourraient l'être. Leur bonne humeur est contagieuse. On se croirait en cour d'école. On fume en cachette près des couchettes. On se cache entre les fauteuils pendant que nos deux gamins terribles élaborent des farces. On ne dirait pas que l'on part à la guerre. A nous tous, on forme une joyeuse bande. C'est comme si l'on se connaissait depuis tout petit. J'aimerais que tu puisses les rencontrer. Il y en a qui viennent de très loin. Certains ont mon âge, d'autres sont aussi vieux que ton père et d'autres encore sont aussi jeune que mon frère cadet. C'est un drôle de mélange. Les citadins, les campagnards, les vieux, les jeunes, les instruits ou les illettrés ; on est tous dans ce train pour faire la bagarre aux Allemands.

On ne parle presque pas de la bataille à venir. C'est comme un accord tacite entre nous. C'est juste un camp de vacance. On partage la chambre avec des inconnus. Ces inconnus deviennent des copains, et puis le voyage se termine en un rien de temps.

Le contrôleur nous a dot qu'on allait donner un coup de main du côté de la Marne. On sait tous que la bataille sera rude. Mais on est beaucoup. Un ou deux Allemands ne pourront pas nous faire grand mal. C'est l'histoire de quelques semaines. Pourtant, si on le voulait, on verrait bien les champs dévastés par les obus. Le ciel qui s'assombrit à cause de la fumée. Les feux de la guerre font rage. Ils sont menaçant à l'horizon. Mais pour l'instant on est dans ce train. Les coups de sifflets ont ce petit quelque chose de familier et de réconfortant. On préfère ne pas penser. Sauf à des choses idiotes. C'est plus facile de sourire. On se raconte des histoires. On s'apprend des expressions. En fait, c'est comme si le silence avait été banni du train. Parce que lorsqu'il retombe, on se met à penser. On pense à la guerre. On pense à nos mères qui pleuraient à notre départ. On pense que l'on ne sait pas se battre. On pense à ceux qui sont déjà au front.

Quand on n'a plus rien à se dire et qu'on ne veut pas penser, on rêve. Ça marche aussi. Moi, je rêve de vous. A notre mariage, car vous m'avez promis de m'épouser ne l'oubliez pas ! J'en suis fou de joie. Ce sera un merveilleux mariage. Toute la France dansera parce qu'on aura gagné la guerre. Et tous les soldats seront acclamés comme des héros. Vous verrez, ce sera superbe. Vous et moi dans nos plus beaux habits, main dans la main face à nos proches. J'en ai l'image précise. Une vision très nette qui vole devant mes yeux. Qui se superpose au paysage. Les gars ricanent parce qu'ils disent que j'ai un sourire niais. Ils l'auraient aussi si vous vous teniez devant eux. La vérité, c'est qu'ils sont fous de jalousie. Les seules femmes qui les attendent sont leurs mères et leurs sœurs. Ils donneraient tout pour être aussi bien lotis que moi. Parce que je vais épouser un ange. A tous ceux qui rigolent maintenant, j'aimerais qu'ils soient témoins de notre union. Vous ne verrez pas d'homme plus fier.

On nous annonce que le train achève bientôt sa course. On est presque arrivés. On n'a pas vraiment vu le temps passer. Bientôt, on troquera nos chemises contre un uniforme et notre chapeau contre un casque. On va aussi nous donner un fusil. Je me demande si c'est lourd. Il le faut bien non ? Si ça doit arracher une vie, ce doit être un objet lourd. Vous imaginez, si une chose aussi légère qu'une plume était capable d'anéantir un être humain ? Je ne sais même pas tirer. Aucun de nous ne le sait. Mais peut-être ne serons-nous pas en première ligne ? Il y a déjà des soldats là-bas. Ils se battent depuis plusieurs semaines. La bataille doit toucher à son but. On va arriver pour aider les soldats à lever le camp puis repartir aussitôt. Ce sera sûrement ça. Mais je ne suis pas un lâche ! S'il faut se battre je le ferais. C'est mon devoir, en tant que Français. En tant que soldat. Nous récupérerons les territoires que l'on nous a volé. On chassera les Allemands en quelques coups bien sentis et on reviendra, victorieux. Vous ne serez pas de ces veuves qui pleurent tout le restant de leur vie. Je reviendrai comme un héros grec et vous me couvrirez de lauriers. En attendant, prenez patience. Je vous écrirais autant que possible, entre deux batailles. J'écrirais pour deux, puisque vous ne pouvez me répondre. Et je vaincrai, pour la France. Alors, attendez-moi. Quelques semaines et je serais de retour. Quelques semaines et nous serons mariés. Je vais revenir, très bientôt.

Votre fiancé,

Lucien.


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Voilà ! Première tentative de réécriture de cette nouvelle. Les autres lettres suivront et je vais également ajouter des lettres de Margareth. Ce serait cool d'avoir vos retours : est-ce que c'est trop long (ou trop court), est-ce qu'il y a des erreurs chronologiques, est-ce qu'il y a assez de de descriptions, etc...

Ou tout simplement : est-ce que ce début vous plait ?

J'ajoute aussi que ce chapitre est loin d'être figé. Je prend en compte tous vos avis pour essayer d'améliorer mes textes. C'est pour ça qu'il ne faut pas hésiter à utiliser la section commentaires.

La suite est en route.

NB ; tous les chapitres avec la mention {en cours de réécriture} ne sont encore qu'à l'état de premier jet. Ce sont les chapitres qui datent de 2017, et qui ne sont donc ni très bons ni très raccords avec la nouvelle version de l'histoire.

Lettres Perdues [En Cours De Réécriture]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant