De la pulpe de ses doigts, Jungkook caressa les traits de son visage pâle. Il longea sa mâchoire saillante et glissa sur la courbe de son nez. Le miroir sale en face de lui renvoyait cette image presque sensuelle.
Mais il était fade.
Il n'avait pas son étincelle.
Il voulait que ses doigts dévalent sa peau aux reflets sucrés, pas la sienne aux allures cadavériques.
Il voulait que son regard le transperce encore une fois.
Medusa.
Alors malgré sa longue et exténuante journée de travail, il se rua hors de son appartement, ses mains à la fragrance acide du détergent.
Et pendant de longues minutes selon lui, qui ne se résumait qu'à cinq, il rôda dans les rues de la capitale. Il se laissait aiguiller par son instinct et son avidité de le revoir encore, empruntant des rues ignorées et vétustes.
Il y était déjà retourné de nombreuses fois, recroisant son visage à travers les milliers de miroirs qu'étaient les réceptacles de verre. Il y voyait ces deux billes qui le transperçaient toujours plus profondément encore. Parfois, il avait la chance de distinguer un carré de peau qu'il s'imaginait aussi doux que la plus belle des soies, mais ça n'allait jamais plus loin, le démon de beauté disparaissant sous les lumières artificielles de l'aquarium.
Jungkook fit vite face à la vieille enseigne qui ne clignotait plus, poussant les portes grinçantes du bâtiment. L'éternelle vieille femme l'accueillit machinalement et bientôt, il laissait glisser ses pieds sur la moquette grise. Seul le silence régnait dans les couloirs en ce jour de pleine semaine, l'aquarium tombé en désuétude ne recueillant que peu de curieux.
Alors, comme poussé par une force invisible, Jungkook retraça le même chemin qui l'avait emmené devant sa magnificence vénéneuse. Il n'avait plus le temps de laisser glisser ses yeux sur ces créatures aussi terrifiantes que majestueuses, il voulait juste le voir.
En espérant qu'il serait là.
En espérant qu'il veuille bien le pétrifier une nouvelle fois de son regard.
En espérant qu'il accepte que Jungkook laisse courir de nouveau sur son corps, ses orbes suintants son désir d'en voir plus et qu'il l'autorise encore, de le caresser avec autre chose que ses yeux.
Il était devenu fou.
Bientôt, il s'arrêtait devant cet enclos limpide, parsemé de petits êtres aux détails microscopiques. Il essayait de briser le banc des animaux marins d'un simple regard, de crever l'intérieur du récipient et peut-être d'y croiser sa somptuosité tétanisante. Il n'était pas loin, il le sentait, il le savait. Pourtant, même quand il pût observer l'autre côté du couloir, personne n'était là.
Sans en comprendre la raison, le corps de Jungkook s'était mis à trembloter et il dut se tenir à la plaquette de plastique pour ne pas s'écrouler.
Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé un vrai repas ?
Depuis combien de temps dépensait-il ses maigres revenus dans ces tickets dorés ?
Qu'est-ce qu'il lui avait fait ?
Il l'avait empoisonné, dévoré, ensorcelé, enchaîné.
Jungkook laissa glisser ses perles de saphir sur la tablette aux hiéroglyphes, redessinant du bout des doigts le nom de ses créatures gravé.
« - Aurelia au-..., tenta-t-il dans un souffle. »
Il se stoppa.
« - Aurelia aulo-, aurelia auli-, auro-... »
Il n'arrivait pas à déchiffrer la suite, se stoppant et secouant la tête à chacun de ses essais vains.
« - Aurelia aurita. »
Jungkook n'avait même pas été surpris par l'éclat soudain de cette voix. Il avait tout de suite deviné à qui elle pouvait bien à appartenir. Ce timbre un peu grave, suave, qui semblait l'envelopper dans l'étreinte la plus chaleureuse qu'il n'eut déjà goûtée. Ça ne pouvait être que lui.
Il ne se retourna pas, relevant seulement le regard vers la glace qui réfléchissait le reflet mortel de l'homme. Et il replongea de nouveau ses orbes fascinés dans celui qui l'obsédait depuis des jours. Celui qu'il voyait partout. Celui qui violait ses nuits et ses pensées. Celui qu'il mourrait d'envie de revoir.
Il était plus loin de ce qu'il imaginait, ou de ce qu'il aurait désiré, se tenant les mains enfoncées dans ses poches, ses prunelles encrées dans les siennes à travers le verre illuminé.
« - C'est magnifique, n'est-ce pas ? »
Jungkook ne répondit pas. Jungkook ne pût répondre.
« - Je n'ai jamais vu quelque chose d'aussi beau que ces créatures. »
Il n'avait pas lâché Jungkook du regard, les méduses dansant leur ballet infernal devant eux.
« - Vous l'êtes. »
C'était vrai. Tout à côté de lui semblait fade. Il est majestueux. Il est magnifique. Il est monstrueux.
Il rit ; et ce fut le son le plus beau que Jungkook n'ait jamais entendu. C'était démentiel.
« - Tu es bien le seul à penser cela. Les gens ont peur de moi d'ordinaire., reprit-il, un rictus collé aux lèvres.
- Vous êtes loin d'être effrayant.
- Tu crois ? »
Un violent frisson parcourut le corps pâle du jeune. Celui aux yeux pétrifiants s'approcha. D'une lenteur affligeante, d'une lenteur ensorcelante pour Jungkook qui ne s'étonna de sa proximité que lorsqu'il souffla à son oreille ces derniers mots :
« - Qui suis-je, Jungkook ? »
Médusa disparut dans l'obscurité trop sombre.
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MEDUSA. ::taekook
General FictionComme si son cœur avait regardé les deux yeux de Medusa.