Ça faisait des heures que les rues se ressemblaient.
Il était trop tôt pour qu'elles soient bondées mais assez pour que la carcasse que traînait Jungkook soit sondée. C'était pas celle de Yoongi, c'était seulement son propre corps qui lui paraissait si lourd, étranger, difficile à bouger en vitesse.
Et pourtant il voulait, courir, s'enfuir, partir loin de cet appartement qui puait l'herbe et la mort, l'humidité et les larmes d'hémoglobine. Jungkook serrait fort son sac contre sa poitrine, il n'y gardait rien de précieux mais ça semblait être le seul substitut d'une armure qu'il avait sous la main. Une douleur désagréable commençait à naître dans sa nuque à force de jeter des coups d'oeil par-dessus son épaule et il marchait, marchait. Parfois, sa cadence s'accélérait, quelques pas en trottinant et puis il freinait car il avait peur de passer pour plus fou qu'il n'était.
L'enfer lui avait souri car pendant la nuit, il avait plu. Et les flaques d'eau, la rosée contre les feuilles, le reflet contre le goudron, tout semblait l'appeler, l'agresser, le figer. Alors quand ça fut trop pour lui, il se recroquevilla dans un arrêt de bus vide et plaqua son front contre la vitre sale. Cette espèce de crise d'asthme qui avait commencé depuis deux heures sembla se calmer un peu et la fraîcheur de l'abri contre sa peau lui arracha un soupir.
Mais aussitôt les yeux fermés, il trouva Yoongi gravé sous ses paupières.
Quand le premier bus passa, il s'y engouffra. Il dut faire peur à la jeune chauffeuse puisqu'elle ne moufta pas quand il ne passa aucune carte, aucun ticket et que le seul son qui retentissait c'était ses dents qui grinçaient tant il les serraient. Il s'avachit sur le premier siège qu'il trouva, essuya sa bouche pour être certain qu'il ne restait aucune preuve de la bile qu'il avait vomie quelques moments avant.
Le petit garçon assis devant lui l'observait, les yeux comme des soucoupes. Il tenait une bouteille d'eau dans ses petits poings et si Jungkook n'avait pas si peur d'y toucher, il lui aurait sûrement demandé de soulager sa gorge sèche et criante. Ses yeux de fou effrayèrent l'enfant, il blêmit et se figea sur le siège deux fois plus grand que lui. Quand il sortit du bus, Jungkook se demandait si c'était vraiment son arrêt ou si la peur l'avait prit si fort à la gorge qui avait préféré fuir.
Étrangement, quand Jungkook sortit du véhicule, de longues minutes après, il reconnut ces ruelles vétustes.
C'était le chemin jusqu'à l'aquarium.
Une nouvelle détermination envahit son corps. D'un pas presque décidé, il reprit cette route qu'il connaissait sur le bout des doigts. Il l'avait tant parcouru durant ces semaines de démence qu'il pouvait connecter les odeurs à des carrefours et le son de ses talons à des allées. Quand il arriva devant l'enseigne éteinte, la porte était fermée. On était dimanche peut-être, jour férié ou peut-être que le choeur de l'aube n'était même pas réveillé. Tout ce dont il était sûr c'était que ces grands battants en bois ne cédaient pas sous ses doigts. Il y mit l'épaule, le cœur, mais le bois ne fit que gémir et l'aquarium restait clos.
Il contempla son échec pendant quelques minutes, le front posé sur le bois puis ses doigts s'enroulèrent autour du heurtoir qui ne servait normalement qu'à la déco. Il le souleva, l'abattit, quatre fois.
« - O-ouvre-moi. Il... il faut que je te parle. »
Ses mots lui écorchèrent la gorge, il mourrait d'envie de boire, d'un peu d'eau le long de son oesophage. Cependant la peur qu'elle ne se change en ciment et pétrifie sa gorge et sa vie, c'était suffisant pour déglutir sa souffrance.
« - Medusa. »
Il se détestait un peu d'y croire. Mais il en avait besoin. Et quand un court cliquetis fit céder la porte, il sut qu'il était pas fou.
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MEDUSA. ::taekook
General FictionComme si son cœur avait regardé les deux yeux de Medusa.