Je suis jalouse. La voilà ma prise de conscience, et je me l'avoue enfin à moi-même.
Je suis extrêmement jalouse d'elle, et ce n'est pas uniquement à cause du fait qu'elle soit avec Antoine, je crois.
Plus je la regarde, plus j'apprends à la connaître au travers de son foutu blog, et plus je me sens comme si j'avais quelque chose à lui envier.
J'ai passé des heures à observer cette page web, à l'actualiser pour connaître ses nouveautés, et j'ai pu constater avec peine, dégoût, mais également beaucoup d'ironie que la relation qu'elle entretient avec Antoine est d'une niaiserie sans égal.
Ils martèlent l'interface du blog à coup de petits cœurs et de petits surnoms mielleux partout, c'en est presque risible.
Il l'appelle Léna.
Un surnom affectueux qu'il est le seul à lui donner, un surnom unique. Nous n'avons jamais eu cela.
Je sais qu'ils passent leur vie à s'envoyer des SMS, grâce aux captures d'écran qu'elle affiche sans complexe, je sais qu'il y a aussi des coups de fil interminables, et je repense à ce qu'il a prétendu lorsqu'il a mis fin à notre relation. J'ai envie d'exploser de rire et de pleurer à la fois, sentiment très contradictoire qui crée un désordre sans pareil dans mon cœur et mon esprit.
Et puis, je crois que ça me tue de me dire qu'il a avec elle la relation qu'il n'a jamais eue avec moi, que j'aurais aimé que nous ayons. Comment puis-je être jalouse d'une chose aussi futile que cela ?
Je regarde les nouvelles photos qu'elle a postées, des photos d'elle, où on la voit souvent à moitié : son visage est coupé. J'ai envie de lui hurler d'apprendre les bases du cadrage, bon sang.
On distingue sur le cliché la forme de son visage, la ligne de ses lèvres pulpeuses et l'ossature de son nez retroussé. Ses longs et épais cheveux noirs qui tombent sur ses épaules sont si brillants, ils ont l'air si soyeux...
Qu'est-ce que je raconte ? Je suis certaine qu'ils sont rêches et pleins de noeuds.
Malheureusement, je ne peux pas m'empêcher de me comparer à elle, de me dire que moi, à côté, avec mes cheveux bleus tout fins et abîmés par les décolorations et colorations à répétitions, je fais pâle figure.
Est-ce pour cela qu'il m'a quittée pour elle ? Est-ce parce qu'il la trouve plus jolie que moi ?
Mon cœur se serre, j'observe une autre photo.
Son visage est pâle, sa peau semble si douce.
N'importe quoi.
Mais dans le fond, je ne peux pas le nier : je ne parviens pas à la trouver laide, même en essayant de toutes mes forces.
Contrairement à elle, qui a osé prétendre que j'étais moche.
Je l'ai entendue au détour d'une conversation. Elle a parlé fort exprès pour que je l'entende, j'en suis sûre, et elle a dit : « c'est affreux, et puis cette couleur de cheveux, ce n'est juste pas possible, franchement ! » après quoi elle a rigolé avec ses amies. Je suis certaine qu'elle parlait de moi. C'était la semaine dernière.
À ce moment-là j'ai cru que j'allais la frapper, lui hurler dessus et lui encastrer son précieux visage dans le mur, mais je me suis contentée de ravaler ma haine et de m'éloigner d'elle le plus vite possible.
Non, mais elle s'est regardée, elle, avec son maquillage à la con ? Je suis sûre qu'elle s'en met une tonne pour tenter de cacher la misère !
C'est là la seule excuse que j'ai pu trouver.On frappe à ma porte, ce n'est pas le code d'Élodie. J'en déduis qu'il s'agit de ma mère ou de mon père, et ferme la page web en vitesse après avoir indiqué qu'il pouvait entrer, qui que ce soit.
Ma mère se tient dans l'encadrement de la porte. Elle me regarde d'un air à la fois soucieux et perplexe, presque inquiet, je dirais.
J'ai bien été obligée de leur dire que j'avais complètement raté ma dernière interro d'histoire. Mon père m'a passé un savon, ma mère a été plus calme, c'est dans son tempérament après tout. Elle a compris que c'était à cause d'Antoine, du moins je le crois, même si nous n'en avons pas parlé explicitement.
Elle me demande :
— Ça va tes révisions ? Tu t'en sors ?
Je suis assise à mon bureau, un cahier et un livre de cours posés devant moi. Je hoche la tête, elle s'approche après avoir refermé la porte derrière elle.
— Tu n'étais pas en train de jouer avec l'ordinateur, au moins ?, soupçonne-t-elle quand elle constate que l'écran de ce dernier est allumé.
— Je m'en sers de temps en temps pour faire des recherches., je prétends.
Et même si ce n'est pas l'entière vérité, cela n'a rien d'amusant maman, crois-moi.
— D'accord. Fais attention à ne pas te disperser tout de même., répond-elle sur un ton à la fois autoritaire et affectueux.
Elle attrape le fauteuil qui se trouve à côté de mon lit et l'attire près du bureau avant de s'asseoir dessus.
— Je pense qu'il faut que nous ayons une discussion, toi et moi., annonce-t-elle alors. Ce n'est pas dans tes habitudes d'avoir d'aussi mauvais résultats, j'aimerais comprendre ce qu'il s'est passé, et ce que nous pouvons faire pour t'aider.
Je souris tristement. Je savais que ce moment devait arriver.
— Antoine m'a quittée., je répète, pour la cinquième fois depuis ce maudit jour.
Pourtant, à chaque fois que je la prononce à haute voix, je n'arrive pas à assimiler cette phrase. C'est comme si j'avais du mal à me rendre compte de ce qu'il m'arrive. De ce qu'il m'est arrivé.
Le visage de ma mère reste impassible. Un rayon de soleil s'abat en plein dans son œil droit, de fines particules de poussière dansent dans la lumière.
Ma mère recule, aveuglée. Je m'amuse de la situation.
— Aline, ma chérie..., commence-t-elle. Je peux te dire que si Antoine a rompu avec toi, c'est très certainement parce qu'il ne te méritait pas et qu'il n'a pas été fichu d'apprécier à quel point tu es merveilleuse. Laisse donc cet imbécile dans sa médiocrité.
Je ne peux pas m'empêcher d'être amusée par la situation. Je m'attendais à ce que ma mère me sorte la traditionnelle phrase "un de perdu, dix de retrouvés", mais visiblement, elle a le chic pour trouver les mots réconfortants.
Pourtant, soudainement, mon faible sourire s'efface pour n'être plus qu'un lointain souvenir. J'interroge :
— Même s'il m'a remplacée par quelqu'un d'autre, quelqu'un de mieux ?
Ma mère se braque, puis se penche vers moi.
— Je t'interdis de dire ça, Aline, personne n'est remplaçable ! Si ce... Antoine a la prétention de t'avoir "remplacée" avec une autre, c'est qu'il n'a pas été capable de se rendre compte de ta valeur. Et ne dis pas non plus que l'autre fille est "mieux" que toi. Personne n'est mieux que personne, chaque être humain possède ses propres qualités et ses propres défauts, mais il n'est pas question de supériorité ou d'infériorité. Les humains sont tous uniques et différents, et c'est cela qui fait la beauté du monde.
Elle essuie une larme qui a perlé le long de ma joue et me gratifie d'un tendre sourire. Pourtant, je ne parviens pas à chasser le sentiment de tristesse qui s'est instauré en moi.
J'ai l'impression de transpirer la peine par tous les pores de ma peau, de puer le désespoir. C'est pathétique. Je dis :
— Mais peut-être que j'aurais dû changer... Me façonner à l'image qu'il voulait, devenir celle qu'il espérait que je sois...
J'ai presque murmuré, je ne sais pas si j'ai prononcé cette phrase pour moi-même ou pour que ma mère l'entende. Je lève les yeux vers elle. Son sourire s'est effacé, et elle fronce sévèrement les sourcils. Puis, ses traits se détendent d'un seul coup, et elle se met à rire.
— N'as-tu pas écouté ce que je viens de te dire ?
Elle reprend alors un air sérieux, mais tendre à la fois, et me demande :
— As-tu déjà vu un diamant brut, Aline ?
Je hoche négativement la tête. Elle poursuit :
— C'est aussi précieux et presque plus beau qu'un diamant qui a été façonné, et tu veux savoir pourquoi ? Parce que c'est unique, tout comme tu l'es. Chaque diamant brut à sa propre forme et ses propres imperfections. Si Antoine a essayé de te tailler pour que tu deviennes comme l'un de ces diamants tout lisses que l'on porte en bijou, c'est qu'il n'en valait vraiment pas la peine. Choisis quelqu'un qui t'aimera pour ce que tu es, et non pas pour ce qu'il aimerait que tu sois. Il y a des millions d'autres personnes sur cette Terre qui peuvent parvenir à combler ses attentes, ne gâche pas ta personnalité pour un mec pareil, ma chérie.
Je souris doucement, j'ai l'impression que mon cœur va exploser dans ma poitrine. Ma mère a toujours aimé les métaphores, je trouve celle-ci magnifique.
Je rentre dans son jeu :
— Mais les diamants taillés, comme tu dis, ceux qu'on porte en bijou... c'est très beau, aussi.
— Tu n'es pas un trophée, Aline.
— Je croirais entendre Élodie., je m'amuse.
— Et bien, ta grande sœur a raison, crois-en son expérience.
J'approuve d'un clignement des yeux et d'un léger hochement de tête. Ma mère conclut :
— Je vais te laisser réviser. Essaye de ne pas trop te triturer l'esprit par rapport à ce garçon, d'accord ? Même si je sais que c'est bien plus facile à dire qu'à faire.
J'approuve à nouveau.
Elle se lève, moi aussi, et je la raccompagne jusqu'à la porte, bien qu'il n'y ait que quelques pas.
Elle franchit l'encadrement, et avant que je ne referme la porte derrière elle, elle m'embrasse sur le front.
— Je t'aime., je souffle, alors qu'elle est déjà partie.
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Sublime
Krótkie OpowiadaniaMag, Maggie, Magdalena... Je la déteste, je l'exècre, je la hais. Je devrais.