Aux autres, que l'on voit sans qu'on s'en épouvante
Passer et repasser dans la cité vivante
Sous leur linceul de chair,
L'invisible néant, la mort intérieure
Que personne ne sait, que personne ne pleure,
Même votre plus cher.
- Théophile Gautier
Le professeur n'avait pas perdu une minute pour commencer le cours, emportant sans préambule Julia dans le rythme infernal des années scolaires. Il avait distribué des photocopies à ceux qui, comme elle, ne s'étaient pas encore procuré un exemplaire de la pièce Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, puis il avait demandé à Anna Berthier — la jeune métisse qui n'avait pas laissé Julia s'asseoir en face d'elle — d'aller exposer devant la classe les recherches sur la pièce de théâtre qu'elle et les autres étaient censés avoir fait à la maison. Après avoir lâché un long soupir, la jeune fille s'était levée et s'était exclamée « Bien-sûr, Monsieur Callini », gratifiant le professeur d'un sourire hypocrite. Ce dernier avait grimacé plus que souri en retour et, sans attendre, il s'était dirigé vers le fond de la classe pour s'adosser au mur, les bras croisés, à quelques mètres de Julia, balayant l'ensemble de la classe de son oeil inquisiteur. Aussi, lorsque les deux garçons devant Julia eurent le malheur de chuchoter pendant l'exposé, il les interpella d'un claquement de doigt sec et impérial. Julia, comme d'autres, avait tourné le visage au signal, seulement pour voir le professeur faire signe aux deux garçons de regarder vers le tableau. Il était impassible, avait un air naturellement sévère. Aussi lorsque son regard sérieux glissa vers Julia qui le dévisageait toujours, cette dernière se retourna vers le tableau.Quand l'exposé arriva à son terme et que quelques élèves eurent complété les propos d'Anna sous la demande de M. Callini, ce dernier regagna son bureau et invita la classe à se pencher sur un extrait particulier de la pièce. Il définit méthodiquement une problématique commune au passage et demanda à chacun de trouver des exemples et des procédés d'écriture en vue d'une brève rédaction de paragraphe argumenté. Les élèves s'exécutèrent dans une légère agitation. Julia détestait cette frénésie des classes, mais lorsqu'elle vit que le professeur passait dans les rangs, elle se mit au travail et commença à relever quelques phrases du texte, un peu au hasard.
Quelques secondes plus tard, M. Callini s'arrêta à la table de la jeune fille pour y déposer un paquet de feuilles administratives.
- Voici le règlement de l'établissement, votre emploi du temps définitif et une fiche de présentation que je voudrais que vous complétiez. Vous me la rendez pour la fin de l'heure ? demanda-t-il sans donner l'impression d'attendre une réponse de sa part.
Julia acquiesça tout en constatant avec gêne que le professeur s'était mis à lire la feuille sur laquelle elle écrivait. Alors qu'elle le vit du coin de l'œil froncer les sourcils, elle réprima un soupir d'agacement.
- C'est de cette manière que l'on vous demandait de procéder l'année dernière ?
- J'en sais trop rien, je n'ai pas fait grand chose l'année dernière.
« Pas plus que l'année d'avant » ajouta-t-elle mentalement.
L'enseignant acquiesça lentement, prenant conscience du travail que cette élève aurait à fournir pour rattraper son retard, et de l'adaptation dont il devrait faire preuve. Pris dans le cheminement de sa pensée, il saisit un crayon noir sur la table de la jeune fille et fit glisser sa feuille jusqu'à lui.
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Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉE
Aktuelle LiteraturLa vie est un puzzle complexe. Pièce par pièce, la pétillante et déterminée Julia, du haut de ses quinze ans, continuait d'assembler le sien d'une main sereine et insouciante. Elle ne s'était absolument pas préparée à perdre l'une d'entre-elles auss...