Il est toujours en notre pouvoir d'être tels ou tels.
- William Shakespeare.
Julia luttait contre la force du vent et l'averse horizontale qui criblait son visage et transperçait ses vêtements. À vélo, la capuche de son sweat sur la tête, elle fit le dernier effort de se hisser sur ses jambes éprouvées et elle entama vaille que vaille la dernière montée qui menait au lycée.
Nous étions vendredi, et cette simple pensée suscitait un fatras de contradictions dans l'esprit de Julia. Elle remerciait ce jour, celui qui emprunte son nom à Venus, pour lui annoncer la tranquillité du week-end à venir et la sortie qu'elle attendait toutes les semaines avec le même enthousiasme, mais elle le maudissait également pour sous-entendre la dure réalité : une semaine seulement était passée depuis la rentrée. Cinq jours, dont trente heures envolées, ou devrait-on dire « volées », passées amorphe sur une chaise de cours. Il est étrange de constater comme le glissement du temps peut être extrêmement variable. Petite, il semblait à Julia qu'il passait toujours trop vite. À peine venait-on de trouver une activité passionnante à faire avec une amie, que le temps était venu de se séparer. Mais depuis quelques années, l'effet inverse opérait. Le temps était l'ennemi de Julia. Il l'attaquait par tous les fronts. Tout à la fois il refusait de la ramener dans sa vie passée, il avançait alors qu'elle craignait d'affronter sa vie future, et il ralentissait pour lui exposer le désastre de sa vie présente. Tout en passant à grands pas les grilles du lycée, Julia tenta de garder en tête la perspective de sa soirée.
***
Elle retira machinalement sa capuche après être rentrée dans la bâtiment des langues pour le dernier cours de la journée. Elle longea le couloir désert du premier étage tout en laissant glisser un doigt le long du mur. En se rapprochant de la salle, elle fut surprise de distinguer quelques bruits. Elle était en avance de plusieurs minutes et ne s'attendait pas à ce qu'elle soit déjà ouverte. Le son d'une guitare commença alors à se détacher des dialogues agités. Lorsqu'elle arriva enfin à l'embrasure de la porte, elle remarqua quatre élèves dans la salle, deux garçons et deux filles. Un gars à la peau caramel et aux cheveux très courts tenait effectivement une guitare en mains. Il était assis sur une table, les pieds en appui sur une chaise, entouré des deux filles. L'une avait la peau très pale et les cheveux roux, coupés au carré. L'autre portait ses cheveux noirs très longs et sa couleur de peau trahissait ses origines indiennes.
Lorsque tous se retournèrent dans sa direction, Julia rencontra le regard du blond qui était installé sur une chaise en face des autres. Elle avait déjà vu ce visage quelque part, mais où ? Après une courte gymnastique de mémoire, elle le resitua enfin. Il s'agissait du gars qui lui avait indiqué la salle de français quand elle s'était perdue le premier jour. Il sembla lui aussi la reconnaître puisqu'il lui adressa un grand sourire tout en tirant la chaise à côté de lui pour l'y inviter. Julia approcha maladroitement du groupe. La jeune fille aux cheveux roux plissa les yeux tout en regardant successivement son ami en face d'elle et Julia. Elle se pencha pour déposer ses coudes sur ses genoux puis elle rompit le silence :
- Laisse-moi deviner... Brune, cheveux très longs, très bien foutue... (le blond se redressa brusquement sur sa chaise et donna une tape furtive à son amie) Fael, elle ressemble à la fille que tu as rencontré en début de semaine, non ?
Confuse, Julia resta observer la jeune fille adresser un regard taquin au blond. Ce dernier resta interdit avant de forcer un grand sourire et de consulter la réaction de Julia du coin de l'œil, visiblement embarrassé.
- Ne fais pas attention à l'autre énergumène, elle ne sait pas se comporter en société, intervint la jeune indienne en posant une main sur l'épaule de Julia.
VOUS LISEZ
Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉE
General FictionLa vie est un puzzle complexe. Pièce par pièce, la pétillante et déterminée Julia, du haut de ses quinze ans, continuait d'assembler le sien d'une main sereine et insouciante. Elle ne s'était absolument pas préparée à perdre l'une d'entre-elles auss...