Chapitre 17 : Acta est fabula

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Le monde, Aldo, fleurit par ceux qui cèdent à la tentation.
-Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes.

Les premiers bourgeons avaient éclos dans les cerisiers de la cour le lundi suivant. Le ciel était d'un bleu immaculé, traversé d'une unique et longue traînée blanche, qui semblait à Julia un interminable rail de coke au paradis ; on entendait les battements d'ailes des tourterelles qui se cherchent sur les câbles électriques, le ronronnement des débroussailleuses dans les parcs voisins. Le vent, chaud déjà, ramenait jusqu'au lycée cette douce odeur de printemps, chatouillant au passage les feuilles d'un mouvement calme et régulier quand, au même moment, la lycéenne quittait le puits sur lequel elle s'était isolée pour déjeuner. Son carnet de citations à la main, elle gagna le bâtiment principal, où avaient lieu les cours de Français. 

Le visage baissé, absorbé par ses pensées, elle se joignit aux quelques élèves qui patientaient déjà devant la salle. Alors qu'elle s'était adossée au mur du couloir, elle fut surprise de sentir la chaleur d'un bras entrer en contact avec le sien. Machinalement, elle tourna la tête vers la veste en jeans, dévisagea le jeune brun qui fixait le mur opposé de ses yeux clairs entourés de longs cils noirs. Un instant, il sembla à Julia que les deux lycéens étaient retournés en début d'année, et elle réalisa, en ce moment, à quel point le temps avait filé plus vite qu'elle ne l'avait imaginé. En vérité, rien de la scène n'avait l'aspect d'un retour en arrière. Le visage qu'elle avait observé dans son souvenir n'était en aucun point semblable à l'image qu'elle avait à présent sous les yeux : Noa était anormalement pâle, son visage creusé. Le sang semblait avoir quitté ses lèvres, s'être figé dans les petites veines qui parcouraient ses paupières violacées. On aurait dit un mort.

- Est-ce qu'on peut parler, après le cours ?

La voix du jeune homme était faible et résignée. Elle serra aussitôt le cœur de Julia, qui ne résista pas au besoin de joindre sa main à celle de celui qu'elle considérait toujours comme son plus proche ami. Les yeux du garçon s'arrondirent et rencontrèrent enfin ceux de Julia. Elle crut un instant qu'il la repousserait, mais il n'en fit rien. Il caressa au contraire de son pouce la paume de la jeune fille et alors qu'il ne la quittait pas des yeux, son regard commença à se voiler tristement. 

- On s'y retrouve ? murmura Julia, qui s'était tournée de trois-quart vers le garçon et lui montrait à présent son carnet de citations.

Son air était grave, et elle n'eut pas besoin d'en dire davantage pour que Noa comprenne qu'elle parlait du puits – son esplumoir, comme elle aimait à l'appeler –  où il l'avait de si nombreuses fois retrouvée alors qu'elle était plongée dans son précieux carnet. Il ne sourit pas, mais acquiesça d'un air qui sembla reconnaissant à Julia. 

Au moment même, le professeur de français arrivait à la porte de la salle. Callini eut un regard bizarrement inquisiteur lorsqu'il les vit, mais il redirigea presque aussitôt son attention vers la serrure. Le visage de Julia était demeuré parfaitement neutre.

***

Chaque fois que les regards du professeur et de l'élève se rencontraient pendant le cours, c'était par un malencontreux concours de circonstances auquel ils mettaient aussitôt fin. M. Callini ne dit rien lorsqu'il déposa sa copie sur la table de Julia, tandis qu'il félicitait ou réprimandait d'autres de ses élèves. Noa ne manqua pas de constater avec une surprise muette l'étonnante note de la jeune fille, et il dissimula un contentement intérieur de ce qu'elle ait réussi à clouer le bec de cet homme qui les avait de toute évidence pris en grippe. Julia fut la seule à remarquer le changement d'attitude de l'enseignant pendant le cours, son manque d'enthousiasme, qui se conclut en une séance pauvre de contenu et répétitive. Aussi la dernière demi-heure sembla interminable à la jeune fille, qui tâcha tant bien que mal de se concentrer sur le poème que tous les élèves analysaient, plus ou moins silencieusement. 

Parle-moi du bonheur (professeur-élève) - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant