Prologue

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            Le temps ressemble à un hôte du grand monde, qui serre froidement la main à l'ami qui s'en va et qui, les bras étendus, embrasse le nouveau venu.

-Shakespeare


               Soixante secondes. Cinquante-neuf secondes pour mettre fin à ce qu'il avait commencé, cinquante-huit secondes pour échapper au danger, cinquante-sept secondes pour déjouer le Destin. Une goutte de sueur, la respiration haletante, il tâchait de transporter avec précaution l'objet de sa mission. C'était une relique pouvant facilement tenir dans le creux d'une paume. Pour éviter toute malchance, il n'hésita pas à faire usage de ses deux mains pour la supporter. La rouille et la poussière qui enveloppaient ce vestige ancien témoignaient de son voyage à travers les époques. La pierre précieuse et insolite qui la ornait, quant à elle, tâchait de rappeler que ces époques n'étaient pas si loin d'aujourd'hui.

                Cinquante secondes. Quelque chose allait mal tourner, il le sentait. Ce n'était pas un de ses sentiments qui relevait de la chance ou de l'habitude. C'était seulement innée dans son cas. Lorsqu'il avait un pressentiment, rare étaient les fois où il ne recevait son dû. Il se hâta d'envelopper la relique d'un tissu protecteur avant de ranger l'objet dans la poche de sa combinaison. Sans prévenir, une alarme se déclencha. Nul ne saurait si elle était attribuable au déplacement inattendu de l'objet ou au prolongement de sa présence sur les lieux. Dans tous les cas, une alarme n'était pas sensé s'enclencher. Il se sentait bête: évidemment qu'il y en aurait une! Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt? Il lâcha un juron avant de quitter les lieux à toute vitesse.

              Quarante secondes. Il courait comme il le pouvait, empruntant les chemins qu'ils avaient auparavant mémorisés plus d'une centaine de fois. Rien ne changeait à la S.E.A., que ce soit les lieux ou les agents en question. Il savait sans se retourner qu'il n'était plus seul. Les claquements lourds de semelles Derbies Boss Selection noires fraîchement cirées ne pouvaient lui être plus familier. Ces agents tout terrain étaient toujours habillés pareil. «On ne change pas les vieilles habitudes», pensa-t-il. Les mécanismes d'urgence de l'établissement s'étaient enclenchés avec l'alarme. S'il ne se dépêchait pas, on ne donnerait pas cher de sa peau. Le passage d'une fléchette proche de son oreille le tira de ses réflexions. Ces agents voulaient le récupérer en vie. Et ça, il n'en était pas question. Il valait mieux être mort que d'être à la merci de cette agence: il l'avait appris à ses dépends. Cette petite source de distraction, si infime fut-elle, s'avéra néanmoins suffisante pour le faire dévier de sa destination, le menant ainsi dans une impasse.

             Trente secondes. Il était cerné, c'était évident. Cependant, hors question d'abandonner. Il fallait passer au plan de secours. Il sortit son plan B, un gadget expérimental qu'il avait volé en entrant ici. Qui disait expérimental, disait également instable. Cet objet pouvait lui sauter en pleine figure, réagir dans tout le contraire de sa conception ou tout simplement ne pas fonctionner. Inutile de mentionner une prière silencieuse: le temps lui manquait déjà. Il visa la multitude d'agents devant lui et enclencha l'objet en fermant les yeux, craignant le pire. Lorsqu'il les rouvrit, tout ce qui suivit se déroula au ralenti. Il laissa échapper un petit rire nerveux, soulagé par cette victoire temporaire. Il pouvait à présent voir les agents avancer à une vitesse nettement inférieur à la normale. Était-ce lui qui avait accéléré anormalement le temps déplaçant ainsi le référentiel inertiel? Dans une autre situation, il aurait sûrement pris le temps d'analyser cette situation fort intéressante. Cependant, le temps, il ne l'avait plus. Il se remit en route vers son ticket de sortie.

            Vingt secondes. La Porte était là dans toute sa splendeur. Faite de matériaux encore inconnus du monde scientifique, sa hauteur dépassant tous géants humains, elle était malheureusement dépourvue de quelconque serrure ou poignée. De plus, personne ne lui avait expliqué comment procéder à son ouverture. Il lâcha un second juron. S'il advenait qu'il puisse sortir d'ici vivant, les autres allaient en voir de toutes les couleurs. Abandonner n'était plus une option, pas lorsqu'il était si proche du but. Il frappa de toutes ses forces contre la Porte espérant un miracle. Rien. Rien ne se passait. Il recula pour prendre un élan afin de l'enfoncer, quand il s'arrêta brusquement. Il y avait un symbole sur cette porte. Un symbole qui la recouvrait complètement et qui n'était visible dans son ensemble que lorsqu'on s'en éloignait d'une distance suffisante. Évidemment! Pourquoi n'y avait-il pas pensé!? Il prit la relique en la déballant de son tissu rapidement et la posa contre la Porte. Puis, il murmura : <<Ostium aperuit>>. Une lueur d'une blancheur immaculé aveugla la pièce.

            Dix secondes. La Porte matérialisa un passage entre ses gongs. Une sorte de pellicule d'une texture comparable à de l'eau, lui semblait-il. Derrière lui, il entendit une voix lui crier : <<Plus un geste!>>, il se retourna pour faire face à une femme en tailleur bleu marine, les traits durcis par le temps et le regard sévère. Ses longs cheveux ondulés blonds étaient ramassés en un chignon impeccable derrière sa tête et ses yeux d'un gris perçant ne cachait nullement ses intentions. Elle n'hésiterait pas à tirer, tous les deux le savaient bien. Les sbires de la S.E.A. étaient entraînés pour ne fléchir sous aucun prétexte, pas même celui-ci. Qu'ils puissent s'être connu ultérieurement n'avaient désormais plus aucune importance. Il savait qu'elle l'avait oublié. Sa mémoire avait été effacée, il en était sûr. Il ne craignait plus le pire. Les dernières secondes parurent durées une éternité. Elle enleva le cran de sûreté puis tira. Au même moment, il prit la relique et la balança à travers le portail. Le projectile mortel lui trancha la jugulaire. Il s'effondra instantanément, luttant contre la douleur du mieux qu'il put. Il savait dès lors que ses dernières secondes étaient comptées. La mission n'était pas sans risque, il en avait été conscient et, au moins, il mourrait en sachant que le but avait été atteint. Il sourit tristement en pensant à sa victoire qu'il savourait éphémèrement. Il pensait être le premier Effaceur à avoir eu autant d'impact sur le cours des choses. Il avait mis l'Humanité de toutes générations à la merci de l'ordre le plus primaire qu'il puisse exister: Le Chaos.

Astrium : Les Portes du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant