Le temps fuit ; la conscience crie ; la mort menace ; le ciel sollicite ; l'enfer gronde ; et l'homme dort.
- Louis Joseph Mabire
Adria savait pertinemment qu'elle rêvait. Elle s'était toujours évertuée à affirmer qu'il existait cette sensation étrange, lorsqu'on tombait dans un sommeil profond, qui divergeait de celle de l'état d'éveil habituel. La légèreté ressentie, le miroitement des images perçues, les sensations fanées : tout ce qui pouvait rappeler le caractère éphémère de ce séjour intermédiaire. Même en n'ignorant point tout cela, elle se surprenait toujours à confondre ces deux mondes. Les sensations affaiblies par la pellicule rembourrée que fournissait le rêve traversaient tout de même le filtre de sa pensée. Le cerveau d'Adria n'en était réduit qu'à recevoir, ressentir, interpréter et répondre. Projetée par terre par un coup qui la prit par surprise, Adria ne pouvait que prouver cette affirmation.
« Relève-toi », lui ordonna son sensei, après l'avoir envoyé au tapis une fois de plus. Adria était censée intercepter ce coup et non le manger en pleine figure. Elle était furieuse contre elle-même. Elle se devait d'être maîtresse des événements dans ses propres rêves et pourtant, ce n'était point le cas. Même ses rêves lui refusaient l'accès à quelconque avantage insolite qu'ils auraient pu lui procurer. Ne pourra-t-elle donc jamais vaincre son maître hors des règles de l'art? Elle avait beau errer entre deux mondes, la douleur rattachée à sa chute n'en était pas moins exclusive à l'un d'eux. Comment arrêter cette machine infernale? Elle ne le savait point.
S'endormir revenait à laisser le soin à sa pensée de nous commander, de nous emmener où bon lui semblait et de nous faire ressentir ce qu'elle voulait quand elle le voulait. Et celle d'Adria ne faisait point exception à la règle. À présent, cette dernière n'était plus au dojo. Elle se trouvait dans un de ces magasins de sa ville Saint-Pétersbourg où elle avait l'habitude de s'éterniser au côté de sa sœur d'une année son aînée. Adria se sentit légèrement déstabilisée par ce changement de milieu si soudain. À peine avait-elle pu se remettre de la surprise qu'une voix familière l'interpella.
« De quoi ai-je l'air? » Lui demanda sa sœur sortie d'une cabine d'essayage après avoir revêtu une jolie robe Lilas, mettant en valeur ses yeux pers et sa chevelure auburn qu'Adria jalousait secrètement depuis toujours. Adria arborait avec peine le roux flamboyant de son père. Elle haïssait profondément sa chevelure frisée. Très souvent, elle se donnait un mal fou pour en dompter les boucles rebelles. Sa sœur, elle, avait eu le bonheur d'hériter de la longue et belle crinière docile de sa mère. Sa maternelle n'était pas sans connaissance des difficultés de la cadette et lui avait souvent dit qu'elle n'avait pas besoin de brosser sa crinière.
« Ce sont tes indomptables boucles qui font ton charme », disait-elle toujours avec un sourire qui réchauffait instantanément même les cœurs les plus froids.
Avant qu'Adria eut l'occasion de répondre à sa sœur, elle se retrouva entrainée à l'intérieur d'une cabine avec, entre les mains, une robe d'un rouge outrageusement écarlate. Elle entreprit alors de l'essayer. Puis, elle s'admira quelques instants dans le miroir devant elle. Cette robe en queue de sirène lui allait à merveille, elle se surprit même à ramener ses cheveux dans un chignon rapide afin de mieux en visualiser les effets. Adria sortit de la cabine, non pour se retrouver face à sa sœur, mais pour se retrouver dans une vaste salle décorée pour un banquet.
« Mes pensées sont maîtres de mes rêves », se rappela-t-elle avec regret, déçue de n'avoir pu partager un plus long moment avec sa frangine.
Elle sentit, noués à ses bras, des bracelets dorés et à son cou, une belle parure de la même couleur. Devant elle, un homme qu'elle ne connaissait point lui tendait la main afin de l'inviter à danser. Elle accepta son invitation et tous deux se mirent à virevolter sur la piste de danse. Tout allait si vite qu'Adria peinait à suivre. Elle n'arrivait pas à distinguer à la réalité du rêve. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'elle se sentait bien au bras de cet inconnu dont elle ne distinguait point le visage. La musique la transportait et elle se laissait transporter. Cet étranger la faisait tournoyer et elle se laissait tournoyer. Adria aurait voulu que cette sensation enivrante pour toujours ne perdure. Elle n'avait pas envie d'y mettre fin. Ainsi, même quand le jeune homme la laissa aller, elle continua de tournoyer ne voulant s'arrêter. La musique, la lumière, sa robe rouge : tous se confondaient dans un tourbillon de couleur dont elle se délectait. Elle avait perdu la notion du temps ou était-ce le temps qui s'amusait à la semer? Elle ne le savait point. Lorsqu'elle s'arrêta, le tourbillon de couleur lui ne s'était point arrêté. Il faisait chaud, très chaud. L'écarlate, l'orangé et le jaune vif se mélangeaient dans une danse au caractère mortel devant elle. Elle ne distinguait plus personne, tout le monde courrait dans tous les sens essayant désespérément d'échapper aux flammes qui ravageaient la salle. Adria était pétrifiée, tout lui semblait tellement réel. Bientôt ce fut la fumée qui s'en prit à elle. Ses yeux lui piquaient et elle ne pouvait s'empêcher de tousser. Ce qui avait l'apparence d'un rêve prenait des tournures drôlement réelles. Soudain, tout devint noir. Malgré la noirceur qui était censée annoncer la fin du rêve, la sensation de chaleur, elle, ne se tut point. Adria apercevait toujours des ombres colorées danser derrière ses paupières closes.
Lorsqu'elle ouvrit les yeux, l'incendie n'avait point cessé. Cependant, tout ce qui se passait devant elle ne pouvait être plus réel et elle le savait. D'immenses flammes vives dansaient devant elles occupant l'entièreté de son champ de vision. La température avait grimpé pour atteindre des niveaux pouvant rivaliser avec l'enfer même. Adria s'était évanouie, surement sous le coup de la fumée. À présent, sa demeure était en feu et si elle n'intervenait pas dans les prochaines minutes, elle resterait prise dans un piège mortel. Adria se redressa, malgré ses muscles meurtris par la douleur et tenta d'avancer à travers les flammes. Elle pensa à sa famille qui était quelque part dans la maison.
« Père! Mère! Nikolina! » cria-t-elle la voix étouffée par les larmes. Elle n'eut pour réponse qu'un grondement sourd et le crépitement des flammes.
Il se devait d'être quelque part. Peut-être avaient-ils déjà trouvé la sortie et priaient qu'elle les y rejoigne. Adria se fraya un chemin entre les meubles en feu et les flammes elles-mêmes, portée par cette conviction de retrouver sa famille saine et sauve. Une fois dehors, elle inspira à pleins poumons. L'air ne lui avait jamais semblé aussi pur malgré la fumée qui s'était déposée tel un voile sur la ville. Elle tomba à genoux, écrasée par la lourdeur de la chaleur. La ville entière était dévastée par les flammes. Comment cela s'était-il passé? Quelle était l'origine de ces dernières? Où étaient les autorités? Ces questions se bousculaient dans l'esprit d'Adria. De nouveau, elle eut une pensée pour sa famille qu'elle ne voyait nulle part. Elle hurla leurs noms à pleins poumons, perçant l'écho du crépitement des flammes dans la nuit.
Un nouveau grondement sourd accompagné d'un tremblement répondit en cœur à Adria. Ces secousses la forcèrent à s'éloigner de leur source sans se retourner. Ce ne fut que quelques minutes plus tard qu'Adria comprit que ces bruits avaient pour provenance un endroit qui n'était plus. Tout ce qu'elle voyait n'était que poussière et débris. Les flammes léchaient avec avidité les décombres afin de terminer leur travail. Sa maison n'était plus. Quelque chose s'était effondré en Adria en même temps que l'immeuble. Un sentiment de vide s'emparait d'elle. La corde qui la liait à sa famille avait été sectionnée; Adria le savait. Elle était à présent seule. La seule à avoir pu quitter son domicile en vie. Les larmes inondaient son visage troublant sa vision. Elle se laissa tomber à genoux et hurla à pleins poumons. Elle espérait que sa douleur s'échapperait également, mais nul ne pouvait échapper à la douleur causée par la perte d'êtres chers. Elle n'avait plus rien. Plus de maison, plus de famille, plus de vie.
Elle resta devant les décombres pendant plusieurs minutes, sanglotant silencieusement, la voix éteinte par cette même douleur qui refusait de la quitter. Elle ne réagit même pas à l'apparition de chaussures noires cirées dans son champ de vision. Elle se contenta de lever la tête vers l'homme en complet noir qui lui tendait la main. Il ne ressemblait pas à un rescapé des flammes comme elle. D'où émergeait-il? Il s'exprima dans une langue qu'Adria identifia après plusieurs tentatives comme étant de l'anglais. Adria parlait couramment six langues, mais dans les présentes circonstances, il lui semblait impossible de lui répondre, et ce, même dans sa propre langue, Le Dolgane. Il l'aida à se relever, époussetant au passage ses vêtements en lambeau ravagés par les flammes. Les pans d'une échelle furent présentés à elle. Adria laissa l'homme contrôler ses mouvements telle une automate. L'inconnu l'invita à y monter. Cette échelle tirait ses origines de l'hélicoptère situé au-dessus de sa tête. Elle obtempéra et grimpa dans cet engin qui allait l'éloigner de la douleur, loin de son ancienne vie et de sa famille perdue à tout jamais.
VOUS LISEZ
Astrium : Les Portes du Temps
Science Fiction« Il sourit tristement en pensant à sa victoire qu'il savourait éphémèrement. Il avait mis l'Humanité de toutes générations à la merci de l'ordre le plus primaire qu'il puisse exister : Le Chaos. » Lorsque les membres du Portail, de dangereux chrono...