Jour 3 ~ partie 1

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          On toque timidement à ma porte. J'ouvre un oeil, dans les vapes. J'essaie d'articuler un "oui ?" correct mais ça n'est qu'un son rauque qui sort de ma bouche. Évy me devance :
     ─ Gaëlle ? Euh, Lena, ma chérie, tout va bien ?
     Je me racle bien la gorge avant de répondre entre deux quintes de toux :
─ Je crois que j'ai pris froid hier à la plage...
─ Ça n'est pas surprenant, tu n'es pas habituée à une eau aussi froide !
     Tout en disant ces mots, je la devine en train de s'acharner sur la poignée de ma porte ; j'esquisse un petit sourire.
     ─ Dis, chérie, pourrais-tu venir m'ouvrir s'il te plaît ? Avec Yann, on ne t'as pas vu depuis hier midi ! On commence à s'inquiéter...
     Je me redresse sur les coudes en baillant ; j'enfile vite mes chaussettes sales et les remonte le plus haut possible sur mes molets. Lorsque je me lève, j'ai brusquement la tête qui tourne et je vacille sur la jambe encore toute engourdie. Mes doigts tremblants viennent tourner la petite clé dans sa serrure.
      J'ouvre la porte et fait face à ma grand-mère, moulée dans sa robe drapée bleue, m'efforçant d'afficher sur mon visage un air avenant.
     Son sourire quant à lui s'efface en un clin d'oeil dès que nos regards se croisent ; à cause de mon sourire forcé, la commissure de mes lèvres frémit de manière incontrôlée. Je dois être dans un sale état pour qu'elle réagisse comme ça.
     ─ Lena, chérie...! Tu as l'allure d'un fantôme !
     Merci, on me le dit souvent. Je prends ça comme un compliment tandis qu'elle me prend sans ses bras et me caresse doucement le dos de ses ongles vernis.
     ─ Tu dois avoir froid, tu trembles comme un glaçon ! Mets-toi quelque chose de chaud pendant que je vais ouvrir les volets.
     J'évite de lui préciser que les glaçons ne tremblent pas et obéis en silence, jetant mon révolu sur mon vieux sweat noir alors qu'une lumière grise commence à entrer dans la chambre. Une bouffée d'air froid se fraye un chemin jusqu'à moi. Après avoir fermé la fenêtre, Évy se retourne vers moi avant d'écarquiller les yeux, de surprise ou plutôt d'amusement, je dirais.
     ─ Lena, qu'est ce que c'est que ça...?
     Je suis son regard et baisse les yeux sur mes pieds.
     ─ Ah, ça... J'ai eu froid aux pieds cette nuit, alors j'ai mis des chaussettes.
      J'enfile un bas de jogging bien confortable tout en essayant d'ignorer son haussement de sourcil amusé. Elle n'a pas l'air de remarquer la cheville plus gonflée que l'autre.
      ─ Il est midi, ça ne t'embête pas de passer directement au déjeuner ?
     Elle n'attend pas ma réponse avant de poursuivre :
     ─ Bien ? Parfait ! Si tu veux te débarbouiller un peu la figure avant de passer à table...
     Elle quitte la chambre et descend les escaliers. Je ne rêve pas, elle met vraiment des talons chez elle...
      Après m'avoir passé de l'eau sur le visage, je range dans un tiroir du bureau la pomme que j'ai oublié de manger hier soir à cause de la fatigue. J'espère qu'elle ne l'a pas remarquée, si c'est pour passer pour une voleuse...

     Au moment où commence à frotter mes mains humides dans une serviette, je remarque l'encre du numéro de téléphone à peine barbouillée sur ma peau. Je cligne un instant des yeux, mon cerveau a le sentiment de chute de temps d'un instant. Puis je refais couler l'eau du robinet, m'empare d'une brosse à ongle et de savon de Marseille.

     Je frotte ma peau jusqu'à ce que l'encre ne laisse presque plus de trace sur l'épiderme. Lorsque que je descends les marches de l'escalier, ma main est encore bien rougie.

~

          ─ Tu avais faim, n'est-ce pas ? demande-t-elle avec un clin d'oeil.
     Bon, et bah... elle l'a vue, la pomme.   
     J'éternue en guise de réponse. Yann, installé à sa place habituelle, n'a pipé mot depuis que je suis descendue. Il n'est pas impossible que je n'ai pas entendu le son de sa voix depuis mon arrivée dans cette maison.
     ─ C'est que tu as vraiment pris froid ! renchérit Évy. Ressers-toi de la viande, chérie, ça va te réchauffer.
     Je hoche simplement la tête et la remercie du bout des lèvres tandis que je remplis volontiers mon assiette ; déjà que je meurs de faim, je ne vais pas me refuser une côtelette d'agneau fumante de plus.
     ─ Ça fait toit drôle de revoir notre petite fille après tant d'années, n'est ce pas, Yann ?
     Je suis prise d'une quinte de toux. Il lève son regard noisette vers elle une fraction de seconde avant de cligner des yeux puis de replonger son attention sur le contenu de son assiette.
     Je tente de sourire tout en tâtant discrètement du pied droit ma cheville gauche à travers la chaussette. Évy pose délicatement sa main sur celle de Yann, inerte sur la table. Il n'ébauche aucune réaction.
      ─ Yann, tu vas aller marcher aujourd'hui ?
     Il hoche la tête en la regardant à peine. On reconnaît vite le chef de famille, ici.
      ─ Je me disais qu'en ton absence je pourrais emmener Lena faire du shopping, non ?
     Je mets un peu de temps avant de comprendre que la question m'est en fait destinée ;
     ─ Euuh, oui, bien sûr avec plaisir...!
     Ma grand mère tape alors du plat de la main sur son set de table bleu. Les verres tremblent en un bruit cristallin.
     ─ Parfait alors ! Sur ce, je vous laisse prendre le dessert, je vais me préparer pour cette fabuleuse après-midi !
     Elle sort de table et s'en va vers sa chambre, au rez-de-chaussée, tout en passant une main pomponne dans ses longs cheveux blancs. Je cherche en vain un sujet de conversation tandis que Yann finit lentement son plat. Quitter la table et le laisser seul me semble être une grande marque d'impolitesse, alors je me tiens bien droite sur la chaise et attends patiemment.
L'homme reste silencieux.
     Gênée, je tente d'articuler quelques chose, mais sa présence pesante m'en empêche à chaque essai.
     Il se racle soudainement la gorge, puis retombe dans son silence. Prise de court, je débarrasse mon assiette puis reviens poser le saladier de fruits non loin de lui, indécise.
     ─ Je... Je vais me préparer aussi, je n'ai plus faim. C'était un très bon repas.
     Il me regarde enfin et esquisse un sourire inattendu qui me laisse perplexe. C'est à croire qu'il a lui-même cuisiné...

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