La maison de mes grands-parents est vraiment immense.
Des murs de pierres aux contours irréguliers et au ciment blanc, des fenêtres aux volets bleu roi, un toit d'ardoises... Un chemin de galets blancs qui, serpentant dans l'herbe, fait le tour de la propriété, des hortensias partout contre les murs... Un tapis d'herbe grasse et épaisse partout où rien d'autre ne pousse.
Ma Bretagne natale m'est tout aussi belle qu'inconnue...
Nous contournons la bâtisse puis tombons sur une terrasse de bois ainsi qu'une large baie vitrée qui ne tarde pas à s'ouvrir sur une dame d'une soixantaine d'années, souriante sous sa paire de lunettes de soleil Gucci et sa capeline blanc écru ;
─ Mes enfants, quel bonheur de vous revoir enfin...!
Le mot "enfin" me crispe un peu mais je décide tout de même ‒ par pure politesse ‒ de me blottir dans ses bras grands ouverts. Sa main fine aux longs ongles se referme sur ma nuque et me caresse doucement le bas du crâne, puis soudain s'interrompt ;
─ Gaëlle ! Mais qu'as-tu fait à tes cheveux ?
Je passe une main nonchalante dans ma chevelure courte.
Le soleil a disparu depuis une bonne demi-heure derrière les nuages alors si elle en arrive au point de ne pas voir la différence entre des cheveux courts ou longs, il va sérieusement falloir qu'elle envisage d'enlever ses lunettes de soleil.
─ Moi, c'est Lena, Mamie. J'avais juste besoin de... changement.
─ Je vois ça... commente-t-elle, inspectant ma tête tout en replaçant derrière son oreille une mèche blanche évadée de son chignon défait.
Gael, un peu à l'écart derrière moi, s'avance et s'exclame :
─ Bonjour, Mamie !
─ Aah, mon petit Gael, bienvenue ! Appelez-moi Évy, je vous prie, ajoute-elle à mon attention également.
Elle sourit toujours autant.
Je me retiens de suggérer qu'à vingt-quatre ans et avec son un mètre quatre-vingt-six de haut, Gael n'a plus vraiment besoin d'être qualifié de "petit".
Elle continue :
─ ...Quelle joie de te revoir, toi aussi ! Mais dis-moi, comment vais-je faire pour vous différencier tous les deux maintenant que ta sœur a presque la même coupe que toi ?
Elle lui fait un clin d'œil malicieux. Il ne répond pas et enchaîne comme si de rien n'était avec un air faussement décontracté : une fois de plus il ne sait pas mentir ;
─ Papi n'est pas là aujourd'hui ?
Notre grand-mère hausse ses sourcils bien épilés.
─ Mais bien sûr qu'il est ici !
Elle se tourne alors vers la baie vitrée et s'époumone, me faisant sursauter ;
─ YAAAAANN...?!
Gael et moi échangeons un rapide regard dubitatif mais Évy a tôt fait de se retourner vers nous, tout en rangeant dans son étui les fameuses lunettes.
─ Il est dans la cuisine en train de vous préparer une salade de fruits. Je vous montre tous nos arbres fruitiers ? propose-t-elle avec son grand sourire.
Gael s'empresse de répondre :
─ Ça ne va pas être possible pour moi, Évy, je suis désolé. J'ai encore beaucoup de travail et la route d'ici à Lyon est longue.
─ ...Beaucoup de travail...? interroge-t-elle.
Il se racle la gorge :
─ Eh bien, tu sais, Mamie ‒ euh, Évy ‒ je me suis lancé dans des études en médecine...
Je crois apercevoir des étincelles dans les yeux d'Évy.
─ Juste ciel, oui ! s'exclame-t-elle en montant la main à son front. Bon, dans ce cas je te ferai visiter le jardin et la maison une autre fois. Mais Lena a le temps, n'est-ce pas ?
Elle se tourne vers moi avec un air avenant. Prise au dépourvu, je balbutie :
─ Euh... oui ! Mais avant est-ce que je pourrais installer mes affaires dans ma chambre...?
─ Bien sûr ! roucoule Évy.
Je regarde mon frère. Tu vas me manquer.
Il hasarde :
─ Bon, bah... C'est pas tout mais moi, il faut que j'y aille. Bonnes vacances, Lena...
Il me sourit tendrement et me prend dans ses bras.
Il a beau avoir dix ans de plus que moi, une voiture et une taille de géant, il reste mon frère et ça me gave qu'il doive repartir si vite.
Je lui attrape la nuque et la tire un peu vers le bas, il comprend et baisse sa tête jusqu'à moi ; je lui murmure à l'oreille :
─ Je vais trop m'emmerder sans toi, s'te plaît, reste avec moi...!
─ Tu sais bien que je ne peux pas, il chuchote.
Il me frotte affectueusement le dos puis se détache de mon étreinte.
Évy, qui nous fixait jusqu'à présent de son regard bleu perçant, s'approche de Gael, tend le bras et lui pince gentiment la joue.
─ Bon vent, petit Gael. Ne roule pas trop vite !
─ Oui, Évy, acquiesce docilement Gael qui a bien compris qu'il vaut mieux obéir. Bonne fin de journée et fait des bises à Papi de ma part, vu qu'il a l'air assez occupé.
─ Oui oui ! lance Évy.
Je suis Gael du regard. Il fait le tour de la maison puis me fait un petit signe de la main avant de disparaître derrière les hortensias, à l'angle du mur.
J'entortille et entortille mon paréo entre mes doigts.
Le bruit d'une portière qui claque, celui d'un moteur qui vrombit et de quelques graviers qui crissent, de moins en moins fort. Puis plus rien.
Parti. Envolé. Pour un mois.
Je retiens un soupir et sens une main s'emparer de ma valise tandis que je fixe l'horizon d'arbres fruitiers. Je baisse les yeux et entends Évy demander :
─ Veux-tu manger un petit quelque chose pour le goûter ? Yann a dû finir de préparer la salade de fruits désormais, vu le temps qu'il a passé dans la cuisine !
Elle me fixe avec un regard si angélique que je suis obligée de constater que l'humeur de cette femme va de paire avec ma valise à petits cœurs : toutes deux aussi sucrées et exagérées l'une que l'autre.
─ Non merci, Évy, j'ai déjà mangé un peu dans la voiture, je n'ai pas faim.
─ Allons donc déposer tous ces bagages dans ta nouvelle chambre, ma jolie ! Tu verras, elle est splendide ! lance-t-elle en traînant la valise que mon frère a laissée là.
Je hoche la tête sans grande conviction.
Mais avant de la suivre à travers la baie vitrée grande ouverte, je sors mon portable et rédige ce sms à la hâte :
Si un jour elle apprend que tu es menuisier, ça va mal se passer pour toi... ;)
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WATER daughters
ParanormalHISTOIRE LAURÉATE DU -WATTY CONTEST FR 2019- #WCF2019 "Je suffoque, terrorisée ; rien n'a jamais été si terrifiant, je me sens claustrophobe, plongée dans le noir le plus complet. Mes membres sont lourds, glacés, et mon crâne si douloureux qu'il ris...