Chapitre 5

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« Clown, pot de peinture, laide, fausse, que tu es affreuse Jessica. Tes efforts sont ridicules. Tu es ridicule. Idiote. Stupide. Pourquoi es-tu comme ça ? Pourquoi suis-je comme ça ? » Jessica

En sortant de la douche, ma peau frissonne au contact de l'air. Mes cheveux dégoulinent d'eau et cascadent dans le haut de mon dos. Je les essore, puis les brosse avec application. Au naturel, mon visage offre une panoplie de défauts à souligner : des rougeurs sur le front, un bouton sur le nez, des paupières tombantes ourlées de cils blonds, fins et pâles, presque invisibles... Mes yeux fatigués et lasses de feindre, de prétendre, dénués de vérité, fixent la glace avec l'espérance d'y distinguer une beauté mensongère. Mais rien ne change.

L'an dernier, avant que tout ne bascule, il me semble que l'image du miroir n'était pas si laide. Mes cernes ne m'apparaissaient pas si apparentes, pas plus que la lividité morbide de mes joues. Pourtant, rien n'y fait, j'ai beau fermé les paupières et les rouvrir, ma vision ne redevient pas comme avant.

Qu'est-ce qui a bien pu changer ?

Pourquoi le monstre du miroir ne part-il pas ? Pourquoi mon reflet se déforme-t-il pour mettre au monde la pire atrocité ?

Mes mains caressent ma maigre silhouette, vacillante, prête à s'écrouler, car mon corps fragile souhaite abandonner la lutte pour la beauté, cette lutte perdue d'avance, à l'issue inévitable, où je terminerai au dernier rang quoi que je tente, quoi que je fasse.

D'un autre côté, une force me pousse à poursuivre le combat pour briller, même si, pour cela, je dois tricher en usant de mes armes préférées. Le maquillage me permet d'inventer un visage splendide, séduisant, imaginaire. Un masque que je peux enfiler selon mes désirs. Le fond de teint corrige et camoufle mes défauts, cachant toutes les fissures où ma laideur pourrait s'échapper pour se dévoiler au grand jour, ce que je dois empêcher à tout prix. Je déguise mes prunelles pour leur donner une confiance et une puissance me conférant l'invincibilité, je peinture mes lèvres pour que mes mots deviennent plus attrayants. Je fabrique ma perfection afin de finir première, pour que ce soit mon nom auquel pense Tristan avant d'aller dormir.

Même si je ne suis pas certaine d'y arriver.

Lors du trajet jusqu'à l'école, je garde mes distances malgré toutes les tentatives de conversation de Jacob. Des souvenirs me hantent, particulièrement celui de ma première fausse identité. Et ce n'est pas moi qui l'ai confectionnée. Ce n'est pas moi qui ai collé l'étiquette de fille facile sur mon front, on m'a attribué ce masque de force et on l'a appuyé avec tant de vigueur sur mon visage que mes traits précédents ont disparu au point que je me demandais s'il n'était pas qui j'étais au final.

Tout ça pour des rumeurs et quelques photos...

Je ne réponds pas au « au revoir » de Jacob tellement sa voix me parait lointaine et que je n'y prête pas attention. J'avance par automatisme, comme un robot, les images du passé me contrôlent et m'obnubilent.

— Hey ! Jez ? Ça va ?

Quelques secondes s'écoulent avant que je n'analyse le sens de la phrase et ne regarde Vanessa. Je hoche la tête machinalement. La véritable réponse à cette question importe peu. Ce n'est qu'une banale forme de politesse qu'on applique avec des tas de gens chaque jour, alors que leurs problèmes n'ont pas le moindre intérêt pour nous. Pour preuve, nous répondons tous oui lorsque quelqu'un nous demande si nous allons bien. Qui oserait dire non ? Qui oserait briser cette vision parfaite, exposer les nuances sombres de ce monde ? Qui oserait dire la vérité, recelant de cruauté ? Qui oserait avouer qu'il a mal ?

Montre-moi ton vrai visageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant