II- ERIC

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Vendredi 13 Mars 2037, 11 Kilomètres au sud de Morley, Alberta, Canada


             Je crois que j'ai rarement osé m'aventurer aussi loin au sud. Le camp est loin, j'espère que je saurai retrouver mon chemin. Emma doit commencer à s'inquiéter. Mais je n'y peux rien. Le voir mourir, balancé comme ça au dessus du vide avant de venir s'écraser sur les rocs en contrebas... L'image de son corps éclaté, disloqué, me hantera longtemps je crois. Pourtant des horreurs pareilles j'en ai déjà vu mais Samuel, je l'aimais bien. Je ne comprends pas comment il a pu faire ça. Jamais je n'oserais toucher à Emma, pas si elle me le refuse. C'est elle qu'il a regardé avant de mourir, c'était effrayant. Un regard chargé de haine et... et d'envie. Je pensais le connaître, j'ai dû me tromper. Et ça fait mal, pire encore que d'avoir assisté au spectacle de sa mort. Et s'il en allait de même pour tout le monde? S'il en allait de même pour tout ce foutu camp? Je pense connaître chaque personne qui m'entoure, et si je me leurrais? Mais non, pas Emma. Je la connais trop bien. Elle ne me trahirais jamais, et moi non plus.

          Ce n'est pas souvent que je m'empare d'un stylo pour griffonner dans ce journal, je me rends compte que cela me fait un bien fou. Emma a beau renier la véracité des propos des anciens, ils ont tout de même connu un monde incroyable, c'est certain. Sans eux, je ne pourrais pas me permettre d'écrire et de confier à ces bouts de papiers cornés tout ce que j'ai sur le cœur. Sans eux, je ne serais pas ici, et je n'aurais pas Emma. Alors, moi, je leur suis reconnaissant.

         Mais alors que je rédige ces lignes, mon ventre se met à gargouiller de plus en plus. Je n'ai rien mangé depuis l'aurore. Je suis habile à l'arc mais je n'ai vu aucun gibier sur le chemin, l'hiver a été terrible. Beaucoup d'habitants du camp sont morts les cinq derniers mois et les animaux ne s'en sont pas vraiment mieux sortis. D'après ce qu'a pu me dire Julia, il faisait bien plus chaud avant, à cause de toutes les machines dont se servaient nos ancêtres. Je l'aime bien Julia, comme Samuel d'ailleurs, je l'aimais bien. Mais elle, c'est différent, sa peau sombre me fascine, c'est la seule qui en a une dans le camp. Elle m'a dit qu'elle ne venait pas du même endroit que nous, qu'elle était différente, qu'elle venait de loin, de très loin, par delà la mer, qui est une sorte de très grand lac. 

         Je me demande combien de temps il me faudrait pour atteindre la région natale de Julia. Sûrement longtemps, plusieurs jours, peut-être même plusieurs mois, et je ne peux pas abandonner Emma. Mais j'adorerais y aller, voir si les gens à la peau sombre sont parvenus à survivre, comme nous. L'«Afrique», c'est comme ça qu'elle appelle sa terre. Un jour j'irai. Je prendrai Emma par la main et tous les deux, nous irons en «Afrique», je crois que ça lui ferait plaisir. Là-bas, il fait bien plus chaud, la vie serait plus facile que dans ces grandes forêts couvertes de neige, où pas un seul gibier ne pointe le bout de son nez.

La Fin d'un MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant