Texte 4: La pièce

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Cette pièce était ma préférée. En réalité, c'était la seule que je connaissais. C'était une pièce ronde, glaciale et sombre. On ne pouvait apercevoir la lumière que par une ridicule fenêtre, placée presque au plafond. Évidemment, j'avais inventé des centaines de stratagèmes pour y avoir accès, malheureusement, il était impossible pour moi d'apercevoir l'autre monde. Cette ouverture était tellement petite que les murs restaient noirs. Le seul meuble qui se trouvait dans cet endroit était un pauvre matelas abimé. J'avais pourtant essayé à plusieurs reprises de m'amuser à sauter sur ce simple objet qui me servait de lit, mais la matière était si fine et si vieille que jamais je n'ai réussis à m'amuser durant cette expérience. Et pourtant, j'ai essayé.

Je passais mes journées à danser dans cette pièce. Je riais, chantais, tout était bon pour passer le temps, même seule. Parfois, après avoir enchainé un nombre incalculable de cascades, un liquide rouge émanait de ma peau blessée. Je me servais de mon propre sang pour décorer ses murs fades et sans vie.

L'obscurité n'était plus un problème, je m'y étais habituée.

Le temps m'importait peu, j'étais là pour l'éternité.

La solitude me rongeait. Puis, elles sont arrivées.

Ses voix dans ma tête résonnaient à longueur de journée. Racontant toutes sortes de choses plus ou moins intéressantes. Elles disaient que je n'étais pas seule, ici. Que pleins d'autres enfants comme moi avaient été mis en cage. Tous, dans ces grandes pièces avide de souffrance.

Chaque jour, les blouses blanches me donnaient un plateau avec de la nourriture, grâce à un mécanisme. Il suffisait surement de presser un bouton de l'autre côté et la minuscule porte s'ouvrait. Elle n'avait qu'à faire glisser la nourriture. Qui d'ailleurs, était infecte. Ces grandes dames étaient muettes, elles ne communiquaient que par des signes incompréhensibles. Quelquefois, elles venaient me voir, apportant une seringue pour me piquer. Puis, elles repartaient, faisant claquer leurs grands talons sur le sol. Ce cycle recommençait, souvent.

Je n'avais jamais essayé de m'enfuir, j'aimais bien cette pièce. Jusqu'à ce que Mori, une  voix dans ma tête, me dise de le faire. Mori avait toujours pris les décisions et je risquais d'être punie si je ne l'écoutais pas. Alors que ma piqure habituelle débutait, et que les infirmières avaient le dos tourné, j'ai couru vers la lumière. J'ai toujours été très calme lors de ces opérations. Personne n'aurait pu se douter de mon plan. Comme jamais auparavant, j'ai découvert de nouveaux horizons. Des cris, des pleurs, des fous rires d'enfants enfermés, c'était ce que j'entendais pendant que je traversais ces couloirs blancs et lumineux. Ils étaient tous semblables. Aucune indication ne me disait où je devais me rendre. Mori et toutes les autres voix avaient disparu, me laissant seule face à moi-même. Où dois-je me rendre ? C'était la première fois que je courrais autant. Soudain, mes muscles se figèrent, me stoppant dans ma course. Je m'approchais doucement, ne voulant pas effrayer la silhouette qui me barrait la route. Face à moi, en fait, se dressait un énorme miroir, dévoilant la vérité, ma vraie nature. La dernière fois que je m'étais  regardée remonte à plusieurs années, j'étais très jeune,  Comme si je me redécouvrais, je fixais mon reflet, regardant chaque parcelle de mon propre corps.  Mon visage était sale et égratigné. Mes cheveux ébouriffés avaient pris beaucoup de longueur. Mes jambes étaient couvertes de bleus. Mon corps était maigre et mon teint était pale. Deux grosses poches violettes étaient visibles sous mes yeux fatigués.

Mes genoux me lâchèrent, me faisant tomber. Mélangeant tristesse et rage, mes yeux s'imbibèrent de larmes laissant place à une émotion que je n'avais jamais ressentie, auparavant. J'ai vécu dans l'ignorance toute ma vie. Je suis restée des années enfermée. Aucun lien avec l'extérieur, ni même avec mon propre corps. Durant toutes ces maudites années, tout avait changé sans que je le remarque. Cette pièce sombre, ma maison, m'avait fait tout oublier. Cette horrible vérité. Grandir pour mourir. Je ne veux pas mourir, je veux rester jeune.

Les blouses blanches s'approchèrent de moi à une vitesse folle, faisant augmenter la vitesse du claquement de leurs chaussures. Inutile de se débattre. Elles me ramenèrent  dans ma cellule. Je veux tout oublier. L'une d'elle sortit une seringue, cette fois ci, différente des autres. Je veux rester enfermée. Elle la planta vivement dans mon bras. Je ne veux pas quitter la Pièce. Mes muscles se relâchèrent. Mon esprit s'apaise. Mes yeux se ferment. Je veux rester dans cette pièce. Mon corps se détend. La pression redescend. Les souvenirs disparaissent, éloignant la détresse. Et ne jamais mourir.

Après ça, il ne s'est plus rien passé.

Recueil de One ShotOù les histoires vivent. Découvrez maintenant