Le Bretteur et la créature du marais.

Où le Bretteur baptise à tours de bras.

Lorsque Honnëtyr Brams descendit les marches de l'escalier qui menait à la salle principale du Taureau Sauvage, le Bretteur était déjà attablé face à une énorme pile de tartines au beurre et à la confiture, un broc de café fumant et une corbeille de fruits. Il le salua d'un signe de tête, ne prenant pas garde à la confiture qui lui coulait le long du menton et saisit une nouvelle tranche de pain plus large que le plat de la main qu'il engloutit complètement d'une simple bouchée, un rot sonore ponctuant son approbation. Le Barde, plus frugal, se satisfit d'un seul bol de café et d'une pomme qu'il nettoya du revers de sa manche. Il en profita pour réfléchir aux événements récents. Me voilà embrigadé avec un personnage de légende à combattre des créatures magiques, mais je n'ai vraiment pas les armes pour cela. Il faut qu'on en discute.

__ Bretteur, commença -t-il, je ne pense pas...

Le Bretteur l'interrompit d'un geste autoritaire de la dextre.

__ Ah ! Tu te dis sans doute que tu n'as pas les épaules pour me suivre dans cette nouvelle épopée. Tu ne veux pas associer ton nom aux légendes que l'on racontera dans les siècles futurs sur le combat du Bretteur et du grand Mage Honnëtyr Brams contre les créatures des ténèbres. Il se mit à déclamer : et ils s'enfoncèrent toujours plus loin dans les Hauts Confins, le Bretteur à la lame plus véloce que l'éclair et le Grand Magicien Honnëtyr Brams de Hautebranche dont l'énergie crépitante troublait l'atmosphère jusqu'à l'horizon ; oncques ne les revit jamais, mais plus une seule créature ne s'en échappa.

Il marque une pause et réfléchit.

__ Honnëtyr Brams de Hautebranche... Il le répéta lentement en détachant les syllabes comme pour mieux en savourer les sonorités. Honnëtyr Brams de Hautebranche... Il se leva d'un bond et se mit à arpenter la salle de long en large. Non et non ! Mon ami à la mine chafouine. Je ne peux t'abandonner à la postérité muni de ce patronyme à rallonge. Il nous faut tailler dans le vif, il nous faut élaguer pour n'en retenir que la moelle. Trop de ronflant, trop de chair ! Personne ne pourra retenir ce nom diablement alambiqué. Brams ! non ! pas assez musical. Honn ! trop court mon pauvre compère à la trogne ahurie, rentrez donc cet air renfrogné et aidez-moi, par les Vents! Il nous faut deux syllabes, comme le Bretteur. Ton nom doit s'associer à l'essence de ton être, il te définit, te détermine, t'enferme dans un carquois dont tu ne peux échapper. Deux syllabes pour les légendes, deux syllabes à rentrer dans la gorge de nos ennemis, deux syllabes à effrayer les plus viles des créatures. Il se figea d'un seul coup, la main posée sur son médaillon, puis se tourna vers Honnëtyr un doigt visant son torse. Barde, Voleur et Mage, trois métiers, trois fonctions qui ne font que peu de cas de l'étincelante vérité, de la tranchante morale, de la douce honnêteté... Tu seras Honnèt.

Le visage du Barde vira de l'effarement à l'hilarité.

__ Honnèt ! Il s'esclaffa. Honnèt l'honnête ! Oui ça me plait ! Tu ne pouvais pas mieux me définir, quelle ironie ! Puis il redevint sérieux. Mais tu oublies ce que je m'apprêtais à te dire. Je ne suis vraiment qu'un piètre mage à peine capable de sortir quelques tours d'illusion pour m'aider dans mes rapines, mais de là à combattre des créatures nées de la magie, c'est bien au-dessus de mes capacités. L'aventure me tente, mais je me dois te conseiller un compagnon bien plus puissant que moi.

Le Bretteur fronça les sourcils.

__ Ne doute jamais de tes capacités, mon nouvellement nommé ami. Le médaillon t'a choisi et il ne se trompe jamais. De plus, sache que le choix de ton nouveau nom n'est pas anodin, c'est un baptême que tu viens de vivre là et même si je n'ai évoqué le nom d'aucun Saint, des entités bien plus puissantes l'approuvent. Comme je te l'ai dit, ce nom s'associe à l'essence de ton être et va, de par sa nature, s'opposer à la noirceur et au mensonge. Tu es le compagnon idéal, n'en doutes jamais.

Les marches grincèrent et le jeune paysan apparu, le cheveu hirsute et la face encore chiffonnée de fatigue.

C'est alors que le Bretteur se tourna vers lui. "Et toi comment va-t-on te nommer en ce jour de baptême. Honnèt ne put retenir un gémissement.