On fomente

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Le jour se lève.

Port d'Havre, comme bien des villes du royaume s'était développée sur une colline. Les marins et les classes de basse extraction, se disputaient les quartiers les plus proches de la mer, tandis que plus on s'élevait, plus les maisons devenaient somptueuses, jusqu'à ce que l'on arrive au sommet, foyer de demeures ancestrales des familles les plus puissantes de la ville et même du royaume.

À mi-hauteur s'étalaient les échoppes de riches marchands et les demeures des bourgeois. À l'angle d'une petite place carrée, ornée d'une fontaine représentant le roi Urbus pourfendant son frère félon, siégeait une auberge dont le blason était un héron prenant son envol. Lorsque l'on traversait la pièce principale de l'auberge du Héron d'Or, on pouvait distinguer dans le fond, presque dissimulée par un escalier, une porte menant à une petite salle que les clients louaient au coup par coup, sûrs d'y trouver le calme nécessaire à des réunions discrètes, à des relations hors mariage ou à des tractations commerciales quelque peu douteuses. Un homme patientait en arpentant la petite salle de long en large. Il cogna trois coups à une petite porte qui s'ouvrit, laissant le passage à une jouvencelle qui déposa un plateau orné d'un pichet de vin et de petits gâteaux. L'homme la congédia d'un geste dédaigneux de la main, se servit une coupe et reprit ses allées et venues dans la pièce silencieuse. Il avait jeté une cape sombre sur ses épaules qui camouflait la richesse de ses atours, mais son port altier, sa démarche résolue et son épée à la poignée ornementée de pierres précieuses trahissaient ses origines. On avait affaire là à une personne de haute noblesse.

Le temps qu'il fasse cinq pas vers le fond de la pièce et qu'il se retourne, la porte s'était entrebâillée sans un bruit et une silhouette sombre s'était plantée dans son dos. Il sursauta en se retournant. Son visage n'afficha sa stupeur qu'une fraction de seconde avant qu'il ne redevienne un masque de mépris, mais son vis-à-vis s'en aperçut et sourit, satisfait de son petit effet.

__ Alors, tout est en place, Maître espion ?

La silhouette sombre prit le temps de se verser un verre de vin et d'en savourer une longue lampée avant de daigner lui répondre, ignorant les signes d'impatience de son maître. Sa bouche se crispa et sa main descendit vers le pommeau ornementé de son épée.

__ Oui, mes hommes sont en places dans tous les lieux de rencontre de la ville, répondit-il les yeux fixés sur la main qui tenait le pommeau. Ils vont sillonner les marchés, lancer la rumeur dans les tavernes, j'en ai même quelques-uns qui se sont fait engager sur des bateaux, rien de tel que des rustres marins pour mener à bien une insurrection.

__ Bien ! Sa main s'éloigna de l'épée et le maître-espion se détendit. Le peuple grogne déjà depuis quelques semaines, mais ce n'est pas suffisant. Les impôts ont augmenté, des entrepôts de vivres ont été mystérieusement pillés, il se fendit d'un sourire carnassier. Les prix du pain ont flambé et pourtant ce maudit peuple se tient toujours tranquille. Il me faut une révolte, il me faut du chaos ! Tu m'as bien compris ?

L'espion acquiesça.

__ Tout est prêt Monseigneur. J'ai même prévu une petite attraction qui devrait éloigner les hommes du guet le temps que l'émeute se forme. Lorsqu'ils seront prêts à réagir, il sera trop tard et ils seront submergés et obligés de se retirer ou de répondre avec violence.

__ Bien ! Le visage du conspirateur s'éclaira. Il faut que le sang coule, il faut qu'il y ait des morts, je veux des veuves éplorées et des orphelins, tu m'as compris. Il faut que le peuple comprenne que leur seigneur a réagi avec une extrême violence, faisant peu de cas de leurs misérables existences. Je me tiendrais prêt avec mes troupes. Lorsque le guet sera débordé et que les morts joncheront les pavés, j'interviendrai. Je materai l'insurrection avec fermeté et sans violence, m'attirant ainsi les faveurs du peuple, ils comprendront alors et se tourneront vers moi pour que je devienne leur futur seigneur.

__ Mais les nobles n'ont que faire du choix du peuple, même si vous devenez le champion des petites gens, cela ne vous permettra pas d'accéder au pouvoir.

L'espion se ratatina sous le regard glacial du conspirateur.

__ Tu oublies qui je suis, Maître espion. Occupe-toi de tes basses besognes et laisse-moi louvoyer dans les arcanes de la politique. Tu n'es qu'une brindille dans un bien plus vaste plan. Mais ! Son regard se durcit encore plus. La réussite de cette opération est primordiale. Je ne tolérerai pas d'échec.

L'espion sentit une sueur froide lui couler le long de l'échine.

__ Vous pouvez compter sur moi, Monseigneur ! Je ne vous décevrai pas.

Le noble s'approcha de l'espion jusqu'à ce que leurs nez se touchent presque.

__ Si tu me déçois ce soir, ce sera la première et la dernière fois. Et je te jure que ta fin sera extrêmement lente et désagréable.

Il lui tourna le dos et attendit que la porte se referme sur lui avant de frapper trois coups à la petite entrée de service. La jouvencelle apparut aussitôt, elle devait attendre derrière la porte. Il se caressa le menton en se demandant dans quelle mesure ces murs protégeaient bien ses secrets. Il attrapa un verre sur le plateau et dévissa une de ses bagues pour y déverser le contenu. Une poudre rougeâtre se mêla au nectar, indétectable. Il se tourna vers elle, lui présentant son plus beau sourire et la coupe de vin.

__ Et si nous trinquions ma mignonne !

Il quitta la salle de discrétion quelques minutes plus tard. Une pile de pièces d'or posée sur le plateau devait sceller les lèvres de l'aubergiste. Le cadavre de la jeune fille gisait dans un coin, les yeux révulsés et de la bave sur le menton.

Le Bretteur et la créature du marais.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant