Les héritiers.

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Le vieil homme assis sur un fauteuil finement ouvragé caressa les cheveux de la petite fille posée sur ses genoux. Il inspira profondément et huma le parfum qui s'en dégageait. Sa petite fille, sa descendance, il savourait ces rares moments, oubliant les affres du monde et les soucis du quotidien.

__ Fais le cheval, papy !

__ Tu ne crois pas qu'à onze ans tu as passé l'âge de sauter sur mes genoux ? sourit le grand-père.

Elle releva la tête pour l'embrasser sur la joue. Ses lèvres étaient fraiches comme l'onde d'un torrent.

__ Je t'en prie Papy chéri, tout le monde me traite comme une adulte ici, si tu pouvais savoir comme c'est fatigant.

__ C'est le fardeau de notre charge, acquiesça le vieil homme. Moi aussi je suis fatigué parfois de toujours me comporter comme un roi, mais je le dois à mon peuple. Un jour tu seras peut-être reine à ton tour et ils te regarderont déjà comme une princesse, tu dois donc tenir ton rang en permanence. Oh ! mais par les vents ! le cheval se réveille, ce n'est pas un lourd destrier, c'est un cheval sauvage ! Accrochez-vous princesse, ne vous laissez pas désarçonner.

La petite fille éclatait de rire, son petit corps tressautant au rythme des genoux de son grand-père. Son rire était un peu forcé, certes, le jeu n'étant plus de son âge ; mais son bonheur, lui, était bien réel.

__ Le prince Astres de Lunnes !

La petite fille sauta des genoux de son grand-père à l'annonce du héraut et se précipita dans les bras du prince.

__ Oh ! papa ! que je suis contente de te voir ! Tu es parti trop longtemps.

Le prince la reconduit par la main au pied du trône et posa un genou à terre.

__ Sire, me voilà de retour, à votre service.

__ Allons, foin de protocole mon fils et viens embrasser ton vieux père, tonna Adamir de Lunnes, roi du royaume de Lunnes en se levant.

Ils se congratulèrent. Le prince sentait encore le cheval et l'herbe fraîchement fauchée. Il le tint à bout de bras pour mieux l'observer. Astres n'avait pas hérité du physique de son père. Le roi qui était jadis un colosse, champion de joute à cheval et toujours prêt à festoyer, avait engendré un fils presque fluet aux manières douces et pondérées. Plus apte à la politique qu'au combat, il l'envoyait souvent en ambassadeur, sûr de son bon sens et de sa sagacité. Il ferait un bon roi s'il n'était pas le quatrième de ses frères. Le royaume est en paix à présent et n'a plus besoin d'un vieux combattant à sa tête ou d'un fils ainé plus prompt à dégainer son épée qu'à faire fonctionner sa cervelle.

__ Tu me raconteras ton voyage après le dîner. Il soupira. Je sais que tu rentres à peine de voyage, mais j'ai besoin d'une personne avisée pour se rendre à Port d'Havres. Mes espions m'ont appris qu'un soulèvement se préparait et je ne peux le laisser s'étendre à quelques jours de cheval de mon trône. Je pense que la présence d'un Héritier pourrait apaiser le peuple et lui montrer que je me soucie de lui. Je n'ai pas pour habitude de me mêler des affaires des autres duchés, mais je m'inquiète vraiment. Le duc d'Havres a augmenté les impôts et des problèmes d'approvisionnement de vivres laissant le peuple au bord de la famine. Visite le duc et suggère-lui de changer de politique. Rappelle-lui que son autonomie passe par le respect de mes lois, ne le menace pas, mais effraye-le un peu.

Le prince s'était rembruni au discours de son père. Il réfléchit quelques instants puis posa la main sur l'épaule de son père.

__ Ces nouvelles m'inquiètent, père. Tu as raison, si nous laissons un des six duchés appliquer une politique contraire à nos préceptes, qui nous dit que les autres ne suivront pas le mouvement. L'affaire est grave et mérite une réponse immédiate. Écoute, je sais qu'ils sont réservés aux visites protocolaires, mais je désire utiliser le portail au plus tôt et me rendre dans le château de Port d'Havre, plutôt que de passer par la route. Une visite surprise me permettra de mieux analyser la situation, ils ne seront pas sur leurs gardes et pourront m'apprendre beaucoup. De plus en arrivant directement au château je n'aurai pas à m'encombrer d'une garde trop imposante, deux ou trois soldats d'élite suffiront à veiller sur moi. Qu'en penses-tu père ?

Le vieil homme sourit, son fils bien que pondéré était capable de prendre des décisions rapides

__ Je suis ravi de ta réponse. Dis-moi quand tu veux partir et je t'enverrai un mage, je te laisse choisir ton escorte, mais tu prendras huit gardes avec toi. Un plus grand nombre pourrai être ressenti comme un affront, mais la prudence s'impose, ces changements de politique m'inquiètent et ta venue pourrais déranger des intrigues.

Le prince caressa les cheveux de sa fille.

__ D'abord un bon bain, puis je consacrerai l'après-midi à ma petite princesse. Je partirai à en fin d'après-midi, une visite à cette heure-là devrait les surprendre encore plus.

Les vents soient remerciés de m'avoir donné un fils si sagace, le portrait craché de sa pauvre mère.

__ Soit ! je t'enverrai mon mage après la collation d'après -midi. Je me félicite de ta décision, j'hésitais à envoyer ton fougueux frère ainé, mais ton retour anticipé me soulage, tu es plus apte que lui à remplir ce genre de mission. Fais honneur à ta maison et parle-leur en mon nom, j'approuverai toutes tes décisions comme si c'était les miennes.

Astres se retourna et quitta la salle du trône, la petite princesse dans son sillage. Il tomba nez à nez avec son frère ainé. Son visage déformé en un masque de haine et la main blanchie sur la garde de son épée, il le dévisageait immobile comme une statue de pierre. Cela ne dura qu'un bref instant, son air redevint affable et son corps se détendit. Astres en vint à douter de ce qu'il avait vu.

__ Mon cher cadet est de retour, grinça le prince héritier en tendant la main.


Le Bretteur et la créature du marais.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant