Le Bretteur et la créature du marais.

Où le Bretteur se préoccupe de mode.

__ Alors quel est ton nom ? Mon cher adepte des travaux agraires.

Le jeune homme rougit, embarrassé.

__ Ma mère m'appelait Mon Garçon.

Le Bretteur marqua une pause.

__ c'est tout ?

Il passa la main dans sa tignasse entremêlée.

__ Heu... Ma mère m'a toujours appelé comme ça, d'aussi loin que je me souvienne. J'ai un nom, pour sûr, mais c'est mon père qui l'avait choisi et lorsqu'il a disparu alors que je n'étais encore qu'un enfant, elle s'est mise à m'appeler comme ça. Mon garçon, c'est tout.

Le Bretteur jaugea le jeune paysan, lui tournant autour à pas mesurés.

__ Voyons, voyons, des cheveux roux en batailles qu'aucun coup de brosse ne pourra jamais discipliner qui cachent un regard bleu quelque peu bovin. Une taille un peu au-dessus de la moyenne qui dissimule une carrure impressionnante. Un peu de gras sur tous les membres qui enrobe cependant des muscles puissants développés à force de retourner la terre.

__Moi, Mon Garçon, ça me va, grommela le barde Honnèt.

__ Non ! Mon chagriné ami. Mon garçon ! Non ! Comment traverser les siècles affublé de la sorte. Imagine les contes au coin du feu ! Connais-tu l'histoire du Garçon ? Non, lequel ? Des dialogues de sourds, des quiproquos en pagaille, voilà ce que nous laisserons aux générations futures en acceptant ce désagréable sobriquet. Veux-tu être responsable de cette débâcle ? Pas moi ! À quoi bon se battre pour ne rien laisser après soi. Nous sommes un trio de légendes, nos noms seront porteurs de leçons alors que cette auberge tombera en ruine, nous sommes un message aux ténèbres. Penses-tu les effrayer avec un simple "Mon garçon". Quelle pauvreté en vérité, quel manque d'imagination.

__ Taverne !

__ Je te demande pardon, Honnèt ?

__ Taverne, c'est une taverne pas une auberge.

__ Je puis t'assurer que ceci est et restera une auberge jusqu'à notre départ. Mais ceci n'est pas le propos mon contrariant compère, je suis à la recherche d'un nom puissant, d'une épiphanie, d'une révélation céleste. Je vais transformer Mon Garçon en un héros de légendes et toi, tu t'inquiètes de la transmutation d'une taverne en auberge, fort bien réussie d'ailleurs.

Son visage s'éclaira. Il s'immobilisa et posa la main sur le médaillon pour la seconde fois de la mâtinée.

__ Tu seras Auroch ! La robe du taureau, sa force, sa fougue et jusqu'à ce regard bovin ! Quelle trouvaille.

Il s'assit brièvement puis se releva d'un bond.

__ Ah mes amis ! Auroch et Honnèt, nous voilà prêts pour nous lancer dans l'aventure. Quel trio! Mais ... Il les étudia attentivement, détaillant leur tenue. Vous ne pouvez pas vous introduire en ce monde attifés de la sorte ! Des frusques de paysan et un barde rapiécé. Non ! Je ne souffrirai pas que des regards apitoyés vous suivent, asseyez-vous dans un coin et on vous lancera des pièces, restez debout, au contraire, et on vous demandera de partir, votre vue offensant le sens des bonnes gens, agitez-vous un peu trop et on vous jettera en cellule aux côtés de mendiants et d'ivrognes. Et que ferai-je lorsque notre trio deviendra solo, comment contrecarrerai-je les ténèbres sans un mage pour me protéger et des muscles pour me soutenir ?

Il marqua une pause sous les regards médusés du duo.

__ Et bien je mourrai ! Voilà toute l'affaire. Non pas que j'ai peur de quitter ce monde. Le trépas fait partie de ma fonction et me talonne tous les jours même si je préfère l'offrir plutôt que le recevoir. Mais je mourrai bêtement, avant d'avoir pu accomplir quoi que ce soit. Avant d'avoir pu occire la créature qui ravage ta région, avant que troubadours et trouvères ne chantent mes exploits. Une vie entière consacrée à l'épée pour finir occis par la première créature venue, tout cela à cause de vous Messieurs !

Il les désigna du doigt tour à tour, le sourcil froncé, le poing gauche sur la hanche.

__ Voilà où va nous mener votre négligence vestimentaire. Elle me tuera. Point final.

Il enfonça son chapeau rouge sur la tête d'un coup de poing rageur et se tourna vers la porte.

__ Au marché !

La porte claqua, il était déjà parti. Honnèt se précipita à sa suite tandis qu'Auroch attrapait toutes les tartines qu'il pouvait emporter.