FIN

Le sort de Francisque

Goram lui-même ignore pourquoi il veut venir en aide à ce traître, mais l'émotion du moment lui dicte de venir en aide au malheureux. Il en ignore même la forme noire et le parchemin qui restent au milieu de la pièce sans bouger. Un léger vent s'engouffre par la fenêtre défoncée. Goram s'élance vers elle et voit l'ombre du malqueste disparaître au-delà des récifs. Francisque, qui appelle encore à l'aide, pose une main sur sa blessure, mais le sang suinte à travers les doigts.

— Paix, mon ami, Flandrois s'en revient et nous te soignerons. Foutrebleu! Je n'ai jamais encore vu un malqueste s'attaquer à des vivants et qui plus est si haut dans les monts! C'est encore une diablerie qui m'échappe!

Flandrois revient avec une bassine, des linges et une fiole d'eau-de-mort. Il s'empresse d'éponger le bras, arrose la blessure d'alcool et pose les compresses qu'il bande avec dextérité, tout cela entre les cris de désespoir de l'écrivain qui est, lui aussi, dépassé par les événements. Flandrois passe la fiole à son maître qui la tend aussitôt à son invité. La boisson l'engourdit rapidement et apaise les douleurs qui le ceignent de partout. Épuisé, il retombe sur sa couche trempée de sueurs, de larmes et de sang. Il remet la fiole à Goram qui la termine. Il se penche enfin sur la boule sans la toucher. Flandrois pose une planche sur l'ouverture et se poste devant eux, bien décidé à ne pas laisser son maître sans défense.

— C'est un grain-de-lune... murmure Francisque, esquissant un vague sourire de satisfaction. Ouvrez, je vous prie, le parchemin scellé.

Goram tend la main vers le papier taché de sang, mais hésite encore. Il devine maintenant que s'il ouvre cette lettre, toute sa vie s'en trouvera changée. Il brise le cachet fragile de cire et ouvre délicatement, d'une main qu'il désespère de voir tremblante, puis lit :

« Le malqueste pénétra dans la mansarde dans un grand fracas, brisant les montants, les volets et la fine couche de vélin tendu. Goram et son prisonnier sursautèrent, mais avant que le preux chevalier ne puisse massacrer cet intrus, un grain-de-lune tomba de la patte noire et roula au pied du guerrier. Le loup ailé poussa un dernier cri et disparut dans la nuit, laissant l'homme surpris, dans une chambre vide : le prisonnier avait disparu. »

Le chevalier relit les mots, les yeux écarquillés de terreur. Il inspire profondément et toute sa colère est maintenant transformée en terreur. Il ne comprend pas ce qui lui arrive, mais il sait très bien que désormais leur vie dans ce monde ne sera plus jamais la même.

Flandrois observe son maître avec le désespoir de le voir s'écrouler. Le Fou n'est pas en meilleur état. Ils s'observent en silence et seuls leurs souffles chauds se rencontrent dans la pénombre luminescente. L'odeur âcre du sang et de la sueur s'imprègne et la fumée noire d'une des chandelles trace une arabesque sur le mur opposé. Goram retient à peine ses sanglots. Tout se bouscule dans sa tête. Avec le sentiment d'éternité qui l'habite depuis qu'il est tout petit, ce simple paragraphe le jette dans un puits sans fond. C'est un trou noir dans l'immense ciel étoilé où il a toujours cherché des réponses, comme les anciens, comme ses maîtres et ses frères. Tout cela était donc... quoi? Une chimère, une fumisterie, un rêve?

— Je suis désolé, maugrée l'écrivain. C'est une bien triste réalité et croyez-moi, je suis tout aussi secoué que vous.

Goram rassemble ce qui lui reste de courage et de force pour se relever. Il tend son arme à Flandrois et se rapproche du Fou :

— Vous saviez donc... Vous avez vu tout cela avant même que... je ne peux y croire. C'est de la magie. C'est une œuvre des Âmes Noires. Vous ne pouvez n'être qu'un de ceux-là.

— Goram, je ne suis ni une Âme Noire, ni un malqueste mutant ou un magicien malveillant. Je suis un écrivain, un scribe. Je prends la plume pour raconter des histoires, vos histoires. Je les invente. Elles n'existent que sur le papier.