Promenade vers un autre monde

120 8 3
                                    

L'auteur tape les dernières lettres à son manuscrit. Trois lettres qu'il connaît trop bien. C'est la dixième fois qu'il appose ce terme. Ce mot ne signifiait rien d'autre qu'un au revoir à ceux et celles qui ont, au fil des années suivit les tumultueuses aventures de Goram, le gardien de la Pierre des Âges. Au total, on compte plus de dix mille pages bien serrées. Le héros et ses comparses ont parcouru des milliers de kilomètres (on disait des harps, dans la légende des Furieux), traversé des continents inconnus et affronté les mers Jaunoise et Turquambre. Il y aura eu bien des morts, des chagrins et des célébrations. Les horribles Âmes Noires n'existent plus. La planète est libérée de leur joug. Le roi, Osgauth le fier, assis sur son trône, jette un dernier regard sur sa suite, entend les oiseaux qui festoient et finalement, sourit à Galboise, sa reine.

 Le roi, Osgauth le fier, assis sur son trône, jette un dernier regard sur sa suite, entend les oiseaux qui festoient et finalement, sourit à Galboise, sa reine

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

D'un seul doigt, l'auteur tape précautionneusement le mot FIN et sourit à son tour. Il sauve le document une dernière fois, fait imprimer le dernier feuillet qu'il glissera tantôt dans le cartable numéro 3. Il boira aussi une dernière tisane chaude et ira prendre une marche pour sentir, lui aussi, l'air pur de son pays en paix, d'entendre les petits merles se chamailler en ce printemps hâtif, marcher sur le trottoir étroit qui longe le terrain de sa propriété jusqu'au premier taillis dense de bouleaux chétifs qu'il a planté là il y a trois ans. Peut-être verra-t-il un cerf ou un lièvre.

Il s'étire, satisfait. La dernière page vient de se poser sur le bac de réception et les bras de plastique de l'imprimante à jet d'encre font un claquement froid avant de se recroqueviller dans les parois grises. La tête d'impression ronronne, hésite et se cache derrière le panneau et le clignotement vert s'éteint. Mission accomplie.

FIN

Avec quelle impatience l'avait-il attendu celui-là. Il se rappelle du regard de son éditeur, un vieux copain, lorsqu'il lui annonça la fin du cycle, qui portera le lourd fardeau de décalogie. Il avait ri de bon cœur.

— Tu ne me crois pas, Paul? avait lancé l'auteur, le regard lourd.

— Absolument pas, vieux. Écoute, on ne jette pas aux oubliettes ce vieux Osgauth et son preux chevalier Goram. Ils se défendront. Ils te supplieront de ne pas les laisser mourir!

La remarque l'avait fait sourire, certes, mais c'était là encore des balivernes de financier. Paul Metts, éditeur, fondateur des prestigieuses séries Médiâges qui sont aujourd'hui traduites en huit langues, maison du chevalier Goram, dont les aventures tirées à plus de cinquante mille exemplaires par mois, font des jaloux à travers le monde, n'en croyait pas ses oreilles.

— Tu nous abandonnes? Tu veux plus d'argent? On peut s'arranger, tu le sais. Il est vrai que dernier divorce...

— Laisse tomber le chéquier. Je suis las de Goram et ses mots précieux. Osgauth m'ennuie. Ce sera le dernier volet. La fin des Âmes Noires. La lumière...

Metts avait soupiré plutôt trois fois qu'une, tripotant son coupe-papier en or, mâchouillant sa cigarette en plastique. Il reposa son dos fatigué sur le dossier de la chaise et scruta longuement le regard de son auteur fétiche. Puis, il lança :

FINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant