Chapitre 5: Surface

57 8 2
                                    

La première chose qu'Atlas ressentit fut à la fois une vive brûlure aux yeux qui l'aveuglait et une chaleur si pure comme elle n'en avait jamais connue auparavant. Un grand réconfort s'immisça en elle, telle l'étreinte d'une mère à son enfant, suivi d'un grand désarroi qu'elle expliquait par ses yeux dissimulés sous les paumes de ses mains. Elle sentait l'herbe brûlante sous la plante de ses pieds, entendait le chant d'oiseaux. Elle titubait et dansait à la fois, riait et protestait en même temps. Heureuse et stupéfaite. Tremblante de peur et d'excitation, elle tentait vainement de trouver un point fixe auquel se rattacher. Elle n'osait ouvrir les yeux par peur de la brûlure mais une chose était certaine: le Soleil, le mythique Soleil qui tenait tellement à cœur à Ewen, était revenu. Peut-être qu'une vie était possible à la Surface...
Ou peut-être qu'une vie y avait subsisté...

Le vertige la prit de cours, elle avait trop de choses à découvrir, trop d'émotions à affronter... Puis elle se sentit tomber, le vide sous ses pas. Atlas ressentit le choc avant la douleur, violente, lancinante. Elle perdit connaissance avant de pouvoir crier, le corps balloté par l'eau de la rivière dans laquelle elle était tombée.

                                                                  ******************************

Atlas s'éveilla dans un lit aux draps propres et blancs aux senteurs de lavande. Elle huma lentement l'odeur qui emplissait la pièce avant que la lumière qui émanait d'une fenêtre ne la brûle. La jeune femme sembla enfin retrouver ses esprits et recula violemment, percutant de moelleux oreillers. Aveuglée dans cette prairie, elle avait trébuché et déboulé dans un ruisseau où elle s'était évanouie, ivre de douleur. Mais où était-elle désormais? Et qui l'avait ramenée? Atlas tâta son crâne sur lequel était enroulé un bandage de fortune. Elle se sentit infiniment reconnaissante envers la personne qui l'avait recueillie et ses pensées s'orientèrent vers Ewen et aux Souterrains lorsque la porte s'ouvrit. Elle étouffa un cri de surprise en apercevant un jeune homme qui ne devait être guère plus âgé qu'elle passer le seuil de l'entrée. Ses épais cheveux bruns étaient décoiffés avec art et retombaient sur ses yeux bleus en amandes qui contrastaient avec sa peau bronzée par le soleil. Il devait travailler à l'air libre. Il avait un sourire éclatant et un visage très doux.

- Hé? Tu es réveillée? demanda-t-il

Atlas était mortifié. Un habitant de la Surface. Un humain vivait à la Surface. Elle hocha docilement la tête, priant pour qu'il ne lui arrive rien.

- Où... Où sommes-nous? Dans quelle partie du monde?

L'inconnu la fixa avec perplexité.

- Nous sommes en France. Chez moi.

La jeune femme plongea son regard dans le sien avec tellement d'intensité que le jeune homme rougit légèrement et détourna les yeux, passant une main dans ses cheveux avec la timidité d'un enfant pris en faute.

- Qui êtes-vous? Pourquoi m'avez-vous emmenée ici? accusa-t-elle d'un ton plus agressif qu'elle ne l'aurait souhaité de prime abord

- Qui d'autre l'aurait fait? Tu te vidais de ton sang dans une rivière! lança-t-il

- J'étais avec des amis. répliqua-t-elle

- Je n'ai vu personne. trancha-t-il

Les yeux plissés, les deux adversaires se jaugeaient, estimant leurs forces et leurs faiblesses respectives. Atlas fut prise d'une bouffée d'effroi. Où pouvait bien se trouver cet atroce Ewen Kamer à cet instant?

- Je vais te laisser dormir, puis je reviendrais changer ton bandage. murmura-t-il, radouci devant l'air désorienté de la jeune femme. L'hôpital le plus proche est à une heure d'ici. Je t'y conduirais plus tard dans la journée, je te le promets. Repose toi. Au fait, je m'appelle Taylor. Taylor Mercey.

- Atlas.

Taylor lui adressa un sourire affectueux.

- Repose toi. murmura-t-il en sortant de la pièce.

Déboussolée et anxieuse, la jeune fille parvint néanmoins à fermer les yeux et à se laisser aller le long du fil du sommeil.

                                                                                        ****************************

Lorsqu'elle ouvrit les yeux pour la seconde fois, elle comprit tout de suite qu'elle était parfaitement éveillée, et pour cause: la douleur lancinante la frappait de tout son poids. Ses yeux brillaient dans l'obscurité ambiante et ses boucles ébouriffées flottaient autour d'elle telles d'effrayants spectres. Ses yeux de nyctalope voyaient tout de même sans peine et Atlas posa avec précaution et appréhension la plante de ses pieds sur le sol frais. Elle frissonna et ouvrit la porte sans bruit: elle n'avait aucune envie de croiser Taylor, aussi amical soit-il, dans un de ces couloirs sombres. Elle déboucha dans une petite pièce ressemblant à s'y méprendre à sa chambre et retint un sursaut en voyant Taylor endormi dans un lit semblable au sien. Un étrange sentiment sembla se répandre en elle lorsqu'il se recroquevilla contre lui-même dans son sommeil et elle ne put retenir un éclat de rire attendri. Il tressaillit à cet instant précis et, terrifiée, elle s'enfuit sans prêter attention au bruit qu'elle produisait. Elle sortit pieds nus dans le jardin de Taylor. Des arbres, des fleurs et des mauvaises herbes jonchaient le sol, mais le regard d'Atlas était fixé sur un point particulier dans le ciel: le soleil. Cette boule de feu incandescente dont on lui avait tant parlé à l'école. On lui avait raconté tant d'histoires sur le Soleil que la Catastrophe avait dissimulé sous une nuée de cendres. Et pourtant il brillait plus que jamais, irradiant la Surface de son éclat. Elle même était peuplée, Taylor en était la preuve vivante. Ewen avait raison.

Mais le poids d'une vérité bien plus préoccupante s'imposa à elle: son avenir était plus sombre que jamais. Elle avait perdu Ewen Kamer. Toute sa vie s'était trouvée bouleversée par cette découverte. Et maintenant qu'Atlas savait que le Gouverneur Stark n'était qu'un vil usurpateur et que tout ce qui avait toujours été sa vie n'était qu'un éhonté mensonge, tout se trouvait changé de façon irréparable. Peut-être aurait-elle préféré continuer la rédaction de ses articles au sein de son précieux journal...

Atlas se laissa tomber au sol, le cœur lourd et les yeux embués. Elle sentit tout à coup une main calleuse se poser sur son épaule avec compassion. La main de Taylor.

- Atlas, tu n'es pas encore remise de ta blessure à la tête. Tu dois faire attention, d'accord?

La jeune femme acquiesça, la sphère qui obstruait sa gorge étant pourtant trop imposante pour lui permettre de prononcer quoi que ce soit. Soudain, sans plus de cérémonie et avec une spontanéité déconcertante, Taylor l'attira à lui et la serra dans ses bras avec douceur. Dans des circonstances normales, elle l'aurait immédiatement repoussé mais son étreinte était bienveillante et si dénuée d'ambiguïté qu'Atlas laissa libre cours à sa tristesse.

- Ne pleure pas, d'accord? Tout va bien se passer. Nous allons retrouver tes amis, ta famille et je te promets que tout ira beaucoup mieux. Tu peux rester ici tout le temps que tu voudras.

Atlas qui s'agrippait à Taylor comme si sa vie en dépendait se rendit soudain compte qu'il ne pouvait rien pour elle: c'était un habitant de la Surface, comment pouvait-il lui être d'une quelconque aide? Il fallait qu'elle retrouve la seule personne qui puisse la guider: Kamer ou l'un de ses multiples sbires qui l'avait à coup sûr suivi à travers sa traversée.

-  D'accord, répondit-elle néanmoins

Il eut un sourire indéchiffrable et la guida vers la maison d'une main experte. Quoi qu'il arrive, elle était persuadée qu'elle trouverait toujours du soutien en la personne de Taylor Mercey.

SouterrainsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant