Chapitre 2: Familles

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A la fin de sa journée  de travail, son article achevé, Atlas s'autorisa enfin à quitter les  locaux. Elle avait rendez-vous avec sa meilleure amie, Hana, et son frère  adoptif, Duncan. Elle passait toujours de merveilleux moments avec eux  et était très heureuse de les retrouver, bien que les tensions entre son  amie et son demi-frère étaient élevées et pour cause: Hana était  l'assistante d'Ewen Kamer tandis que Duncan était lieutenant dans  l'armée de Stark. Atlas, qui était impartiale, ne souhaitait pas  entrer dans le débat lorsque les sujets politiques étaient abordés et  laissait ses camarades se quereller tout en pensant à des préoccupations  plus plaisantes. Luisa avait été amie avec Hana et Duncan autrefois,  mais cette dernière avait été accaparé par ses fonctions et avait perdu  le contact avec eux.

Atlas se mit en route,  grimpa dans un téléporteur et se matérialisa dans son appartement, un  six pièces qu'elle avait hérité de ses parents. Elle l'aimait  particulièrement. Elle atterrit sur le tapis de son salon, en face de la  cheminée qui avait été allumée par son ancienne nourrice et aujourd'hui  gouvernante, l'adorable Amy, une Agrienne (habitante d'Agros). Elle  servait déjà Shake et Pria et considérait la petite Atlas comme sa  propre fille. Après la mort de ses clients, Amy avait entretenu la  maison vide des années durant pour le compte d'Atlas, alors placée en  orphelinat. La jeune journaliste entra dans sa chambre et se laissa  tomber sur son lit quelques instants, les yeux clos, la respiration  haletante. Elle tenta en vain de se concentrer sur un point précis, mais  son esprit voletait en tout sens, incapable de penser. Atlas se laissa  tomber au bas de son lit pour attraper un petit disque pour le glisser  dans un petit appareil métallique qui se mit aussitôt à diffuser une  musique forte, intense, vibrante. Elle se laissa aller au fil des  paroles, calmant sa peine en se noyant de le flot de mots trop vivant  pour être mis sur papier. La chanteuse explosait de sa voix si  particulière, de son timbre si puissant... Cette chanson faisait partie  du disque que ses parents lui avaient offert pour son troisième  anniversaire. "Tu ne dois en parler à personne, Atlas. Il faut que tu me  le promettes." lui avait demandé sa mère, une lueur d'angoisse palpable  dans ses immenses prunelles bleutées. Atlas avait promis. Elle n'avait  compris pourquoi que des années plus tard, se rendant compte qu'aucun  autre disque de ce genre n'était vendu. Parfois , le soir, sa mère  venait la border en chantant de son ton doux et pétillant une de ses  multiples chansons. Elle avait pris l'habitude  d'entonner certains couplets lorsque la peine venait, et à oublier les  origines douteuses et les circonstances mystérieuses de son acquisition.  En repensant à ces années d'innocence, Atlas ne pouvait s'empêcher de  s'en vouloir de s'être montrée si ignorante. Si stupide. De ne jamais  avoir posé de questions, de ne jamais avoir eu le courage de demander  pourquoi Shake et Pria s'absentaient presque chaque soir. Peut-être que  s'il elle l'avait fait, ses parents ne seraient pas morts. Peut-être que  Pria aurait continué à la bercer avec les musiques de la chanteuse,  peut-être que Shake lui aurait appris à être plus forte, l'aurait enfin  serrée entre ses bras. Peut-être qu'ils auraient fait des sablées comme  les autres familles, seraient allés à l'enterrement d'Andrew Kamer.  Peut-être que les secrets auraient finis par se dissiper. Peut-être  aurait-elle été différente alors. Plus heureuse, moins effacée, moins  mise à l'écart.

La jeune journaliste  ouvre brusquement les yeux pour sortir de ses sinistres préoccupations.  "N'y pense plus, Atlas. Tu ne changeras pas ce qui s'est passé quand tu  avais 7 ans. Tu peux t'en sortir, tu t'en es toujours sortie sans eux.  Tu as vécu plus de temps sans eux qu'avec eux.". En réalité, depuis la  mort de ses parents, Atlas avait toujours réprimé la colère qu'elle  ressentait à leur égard: tout était de leur faute. Ils l'avaient  abandonnée, elle, leur petite fille âgée tout juste de 7 ans. Ils  l'avaient condamnée à subir un avenir difficile, obscurcit par un passé  douloureux.

La jeune femme se  releva, presque mécaniquement. Elle constata avec surprise que ses joues  étaient trempées, ruisselantes de larmes. Elle ne s'était pas rendue  compte qu'elle pleurait. Ses membres étaient endoloris, mais elle les  ignora: il fallait qu'elle se prépare pour son rendez-vous. La tentation  d'annuler au dernier moment avec un prétexte quelconque s'imposa à elle  mais elle la repoussa, non sans regrets: elle détestait mentir, et ses  amis comptaient sur elle. Qui sait, la soirée serait peut-être  apaisante. Atlas soupira en essuyant ses yeux mouillés et se jaugea du  regard dans l'immense miroir en pieds de sa chambre: ses boucles brunes  étaient emmêlées en un fouillis indescriptible, éparpillées tout autour  de son visage avec art. Elle tremblait légèrement, suite à cette crise  de larmes. Ses lèvres étaient gercées, sa peau pâle. Elle était trop  maigre, jugeait-elle. Ses jambes paraissaient trop longues et trop fines  pour supporter son corps et ses bras trop maigres pour porter quoi que  ce soit. Atlas s'étira avec un bâillement, éreintée. Donnant une pulsion  à la porte de son armoire pour l'ouvrir, elle choisit une simple robe  de dentelle bleue nuit à col claudine. Elle achevait de l'enfiler lorsqu'on frappa trois coups à sa porte.

- Entrez. fit-elle avec un pincement au cœur du à sa solitude perdue

Amy entra dans la pièce,  un sourire doux posé sur ses lèvres rosées. Ses bruns cheveux qui agrémentaient  sa peau pâle tombaient au niveau de son cou et ses immenses yeux riches  pétillaient de joie. Elle était belle, d'une beauté que le temps  n'avait aucunement entamé.

- Tu es ravissante, ma belle. Tu sors ce soir?

Atlas lui rendit son sourire avec sincérité et opina du chef.

- Oui, j'ai rendez-vous avec Duncan et Hana.

Elle savait qu'Amy avait été mariée quelque temps à un homme, un certain Nyss, mort d'un  arrêt cardiaque une poignée d'années après leurs noces. C'est la perte d'être chers qui avaient rapprochées les deux femmes. Amy avait rendu  visite à Atlas chaque jour à l'orphelinat. Elle voulait l'adopter, mais  on n'avait pas voulu confier à une femme célibataire âgée d'une  quarantaines d'années la garde d'une petite fille de 7 ans. Pourtant,  même lorsqu'Atlas avait été recueillie par les Scheffer, Amy n'avait  cessé ses visites quotidiennes. La puissance du lien entre les deux  amies s'était renforcée avec les années et aujourd'hui elles étaient  très proches.

- Ah, parfait! Tu me donneras de leurs nouvelles. Je n'ai pas vu la petite Hana depuis des mois!

- Et toi, Amy? Qu'est-ce  que tu as de prévu ce soir? interrogea Atlas d'un ton coupable de ne pas s'être intéressée davantage à la soirée de son ancienne nourrice

- Liza m'emmène au restaurant ce soir.

Son visage s'était  illuminé et elle rayonnait de bonheur. Liza était la fille qu'elle avait  eu de Nyss, elle avait une poignée d'années de plus qu'Atlas. Les deux  jeunes femmes étaient très amies enfants. Puis Liza, qui adorait chanter, avait été remarquée par un agent et avait fini par devenir célèbre. Sa mère la voyait de plus en plus rarement mais Atlas voyait  les yeux de Amy embués de larmes refoulées mais brillants d'un bonheur  immense lorsqu'elle regardait sa fille chanter par le biais des  hologrammes. Liza avait les cheveux de sa mère, d'un brun clair, et des  yeux bleus "ceux de son père", se plaisait à dire Amy. Elle était très appréciée du public.

- C'est merveilleux! se réjouit Atlas pour son amie

- Oui... Elle a pu se libérer pour la soirée... murmura Amy qui semblait ne pas croire en sa chance

Atlas consulta sa montre et déclara qu'elle devait partir maintenant, que Hana et Duncan  allaient l'attendre. Amy l'étreignit en lui chuchotant un "bonne soirée"  au creux de l'oreille qu'Atlas n'eut aucun mal à lui rendre: elle était  sincère.

La journaliste se  téléporta en un clin d'œil devant le café où elle devait retrouver ses  amis. Elle prit alors une grande respiration et entra.

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