Faustian

Chapitre 31

   Je ne dis rien, tétanisée d'horreur face à la nouvelle. Les mots refusent de sortir, je sens comme un grand vide s'ouvrir en moi, semblant me ronger de l'intérieur, un vide qui m'empêche même de comprendre et de réagir à la terrible nouvelle. Je me contente de regarder dans le vide comme unique réponse, une réponse inaudible, une réponse fantôme. Que puis-je dire dans une telle circonstance? Je fixe le sol et reste debout, les jambes flageolantes, à regarder dans le vide, perdue dans mes pensées. Je n'ai moi-même jamais vécu cela, je ne sais pas quels sont les mots que l'on peut vouloir entendre, que l'on peut prononcer dans pareille situation. Du reste, je continue de fixer le sol sans aucune réaction. J'ai l'impression que le temps arrête de s'écouler autour de moi. Mais je sais bien que je me trompe. Je le remarque quand une sorte de douleur fleurie en moi, elle s'intensifie. Je souffre discrètement. Le silence s'est emparé de la pièce et je ne veux pas être celle qui y mettra fin. Mais cette douleur... Un poids invisible semble s'abattre sur moi et me colle douloureusement à la peau. Je me sens honteuse. Honteuse. Je parle de la douleur que je ressens, mais la leur est forte, bien plus forte que la mienne. Elle se reflète aussi bien dans leur voix que sur leur visage. Puis, dans ce vide qui s'est ouvert en moi, l'espace d'un instant, une certaine lueur se mit à briller. Alors que je commence à imaginer l'horreur et la douleur qui a dévasté l'homme au point de lui avoir retiré toute envie de vivre, la cause de son malheur me revient aussitôt en tête.

   Mon dieu, je suis rassurée que Faustian soit toujours en train de se reposer en bas... Il n'entend pas la terrible nouvelle que l'on vient de m'annoncer. Terrible nouvelle dont il est inconsciemment le coupable. Je sais qu'il est au courant du mal qu'il a commis à Balamor et qu'il s'en veut terriblement... Je ne pense même pas que «terriblement» soit un mot assez fort pour décrire à quel point il peut se haïr pour ce qu'il a fait. Mais maintenant que je le connais, je sais qu'il n'est pas dans sa nature de vouloir du mal aux autres, il se sent même obligé de cacher toutes ses émotions au plus profond de lui jusqu'à s'en étouffer. Mais je sais qu'au moins il n'assiste pas à ce qu'il se passe, au dégoût que l'on peut voir dans les yeux de Nyséa et de Sted. Il n'entendra pas les cruels mots à son encontre, il n'entendra pas la tristesse dans la voix des deux personnes devant moi qui sont en train de le haïr et de le maudire de tout leur être. Je prie au plus profond de moi pour que je puisse l'aider à apaiser tous ses tourments, que je puisse lui venir en aide d'une quelconque façon. Dieu, faite que je puisse me montrer utile, faite que je puisse lui venir en aide... C'est tout ce que je vous demande, c'est tout ce que je vous demande pour le moment avant que vous ne recommenciez à me laisser une nouvelle fois faire face à des situations plus terribles que celle que j'ai pu vivre...

   Des images des derniers événements qui ont eu lieu à Balamor surgissent de nouveau dans mon esprit et accélèrent de nouveau les battements de mon cœur. Les événements récents qui eurent lieu la veille me hantent. Je ne peux oublier les corps empilés et mutilés, brisés, déchiquetés, écrasés. Je ne peux oublier cette odeur de sang, la façon dont il se collait à ma peau, l'horrible sensation lorsque mes pieds nus eurent contact avec celui-ci. Je ne peux oublier le silence fantomatique dans la ville qui me donnait l'impression de marcher dans le couloir de la mort, silence qui fut brisé par un effroyable cri d'enfant qui, encore maintenant, me glace sur place. Je ne peux oublier le visage de ces corps sans vie posé à l'abandon contre le pavé froid de la ville, leur visage terrifié, douloureux, les yeux vitreux qui témoignaient de la vie qui leur avait échappé.

   Mais une chose beaucoup plus importante pour moi germe dans mon esprit: j'espère qu'il ne se rappelle pas de tous les visages des personnes qu'il a pu tuer. Je ne sais pas pourquoi, mais quelque chose au fond de moi me pousse à penser que c'est le cas, qu'il se souvient de toutes ces personnes. Quand bien même leur nombre fut important, il est quelqu'un d'assez bien quand il est lui-même pour se souvenir de toutes les personnes qu'il a pu blesser ou tuer.