Parce que pour arriver il faut partir...

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Regardez ces deux ados. Ce sont deux frères. L'aîné a 15 ans ; le cadet en a 13.

Ils ont fui l'Afghanistan tout seuls. Il ont fui la faim, la violence des adultes, les massacres et les viols qui se commettaient autour d'eux.

Ils ont traversé l'Europe, seuls, le plus jeune inspirant à son frère le courage d'affronter l'adversité et d'espérer envers et contre tout - parce qu'il faut bien y croire et faire face quand on veut protéger ceux qu'on aime. Ceux qui nous restent. Plus qu'un frère, qu'une attache, qu'une racine - plus qu'une raison de vivre.

Pendant des mois, la faim et la peur au ventre, ballottés par la violence cupide des passeurs ou la brutalité perverse des institutions, ils ont bravé le froid, la fatigue, l'angoisse, pour avancer vers leur terre promise, cette patrie des droits de l'Homme où la folie des Hommes, forcément, n'a pas de prise. Où, lorsqu'on est un enfant, lorsqu'on est en détresse, lorsqu'on a besoin d'aide, la liberté, l'égalité et la fraternité agissent pour restaurer l'espoir et la confiance.

Ils ont fini par arriver en France.

Le froid, la rue, les réseaux de la criminalité organisée, la prostitution, l'indifférence, la haine parfois de ces français qui traitent en ennemis ces naufragés de la vie.

Mais ils sont jeunes, ils ont tout perdu et n'ont rien à regretter, tout à espérer de ce nouveau pays. Alors, ils s'accrochent à cet espoir, heureux dans leur malheur de s'approcher chaque jour un peu plus de leur rêve.

Alors ils frappent aux portes que l'on met sur leur route.

A l'Aide Sociale à l'Enfance, on leur demande s'ils ont des preuves qu'ils sont mineurs ; s'ils ont des preuves que leurs preuves sont authentiques.
Evidemment, rien ne conviendra et ils ne mériteront que rarement la protection des adultes. Des adultes qui sont prêts à leur imposer des tests médicaux dangereux et vains pour attester d'un âge que le corps ne marque pas avec précision. Pour s'en débarrasser dans un train vers plus loin, où on ne les reverra plus.

Ailleurs, on leur demande s'ils ont des preuves qu'ils sont majeurs ; s'ils ont des preuves que leurs preuves sont authentiques.

Evidemment, rien ne conviendra et ils ne mériteront que rarement une aide alimentaire, financière ou au logement de l'Etat. Un Etat qui préfère déroger aux conventions internationales qu'il a signées, qui préfère parjurer les fondements de sa République. Pour complaire aux discours de méfiance et de haine. Parce qu'il faut faire des économies.

Pas de sous.
Pas de solution.
Allez mourir plus loin.
Crevez dans la rue, enfants d'ailleurs. Enfants de nulle part. Enfants de personne. Mais crevez loin de nos yeux.
Et l'administration les met dans un train.
Toute ressemblance avec un passé honteux est légitime à constater. Et à dénoncer.

Alors, partout en France, des citoyens, des collectifs, des associations suppléent aux défaillances de l'institution, aux carences de notre société, aux amputations de nos consciences. De partout, ils s'organisent pour accueillir, nourrir, aider, abriter et protéger ces victimes de la folie humaine, ces orphelins, ces mineurs isolés. Et comme tant d'autres, ces deux frères que vous voyez plus haut.

Alors, quand on connaît le parcours de ces jeunes, quand on ne fait que deviner les épreuves qu'ils ont dû traverser et qu'on les voit face à l'institution se faire dire que le plus jeune trouvera sûrement une place dans les prochains jours - jours et nuits qu'ils passeront dans la rue, sans manger, sans se laver, sans lit ni couverture - mais que le plus grand devra attendre car d'autres jeunes sont là depuis plusieurs semaines, plusieurs mois - dans la rue, oui - on ne peut tolérer la violence qui est faite à ces deux jeunes, cette séparation qu'on veut imposer à cette famille ravagée et déracinée dont il ne reste plus que deux mômes abandonnés dans un monde d'adultes devenus fous.

Lire l'angoisse sur leurs visages, la douleur, le désespoir dans leurs yeux.

Et, chance inespérée, la nouvelle tombe enfin : deux places pour la nuit, pour la fratrie, ensemble - et ce sourire de soulagement, ce réconfort du naufragé qui trouve une planche de salut.

Et qui oublie qu'il est toujours en pleine tempête.

C'est à ce moment de ce documentaire de Rachid Oujdi que ça a été trop.
J'ai pleuré.
J'ai pleuré encore en le racontant à mon retour chez moi.
Et j'ai encore les yeux humides en écrivant ces lignes.

J'ai souvent mal à mon humanité, à ma France, mais ce documentaire dessille les yeux, nous force à regarder en face une réalité que les médias déforment et que tant de bouches salissent de leur mépris, de leurs haines mesquines.

Il faut le voir pour y croire : http://oujdirachid.wixsite.com/jmjv-jeunessexilee.
Il faut faire face à ces images pour renouer avec notre engagement humain : http://www.lcp.fr/emissions/275151-recit-dune-jeunesse-exilee-jai-marche-jusqua-vous.

Quiconque sait ne peut rester assis et se dresse.
Quiconque sait ne peut rester muet et redevient citoyen.

Que faire ? Rejoindre les associations d'aide aux migrants : elles émaillent le territoire et sauront utiliser vos capacités et votre bonne volonté pour aider - les besoins sont si importants ! Être membre de ces réseaux et alerter, diffuser, militer, manifester, dénoncer, porter plainte : ne rien céder face à la haine et à l'égoïsme instinctifs et permanents de notre espèce. Réseau Education Sans Frontières est une association bien implantée qui pourra vous orienter.
Donnez une heure, un jour, un repas, un vêtement, un livre, un jeu, un cours, un moyen de transport, un toit. Donnez ce que vous pouvez donner : ils manquent de tout.

Ils souffent surtout de leur solitude.

Il faut pallier à l'urgence, mais il faut aussi lutter contre les causes profondes de ces détresses : les désordres du monde. J'aborderai ces sujets dans les parties suivantes.

Personnellement, je n'ai pas de place chez moi. Je n'ai aucun bien à donner.
Alors je donne du temps.
Je viens une heure, deux heures, trois heures, quatre heures par semaine au centre d'accueil et d'orientation près de chez moi passer un moment avec une vingtaine de migrants de diverses origines pour leur apprendre notre langue, les aider à sortir de leur isolement, s'ouvrir aux autres et communiquer. Et on passe de bons moments, eux comme moi.

C'est une rencontre - et ça, ça aide à cicatriser les blessures du voyage.

Journal d'un militant.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant