Les Bisounours et les loups de Wall Street

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Mes chers cons-citoyens, comme dirait l'autre,


Je ne cesse de lire, d'entendre dire partout que la plupart des gens sont des imbéciles, des lâches ou des hypocrites qui désapprouvent notre monde à grand bruit pour se donner l'illusion de briller mais qui se complaisent dans la passivité, la soumission et l'inconscience profonde de la gravité de la situation.


Casse des services publics (école, hôpital, justice, police...), destruction de l'environnement, fracture sociale, haines communautaires et anti-communautaires...


En fait, j'aimerais proposer de prendre un peu de recul en allant vers l'idée de convergence des luttes, non comme cri de ralliement d'une partie de la gauche, mais bien comme fait observable de cette majorité de notre espèce en lutte pour survivre contre un système qui permet à une minorité variable de dominer et opprimer la majorité. (les vieux sur les jeunes, les hommes sur les femmes, les beaux sur les laids, les blancs sur les noirs, le nord sur le sud...).


En pleine période de fascisation de l'Europe des années 1920, Gramsci a développé une théorie personnelle qui résonne aujourd'hui profondément en moi : on ne gagne pas une guerre idéologique par les armes, mais par les esprits.


Aujourd'hui, parce qu'on vit tous sous pression, soit on se radicalise, soit on se résigne pour se concentrer sur sa survie, mais ne demeure que la violence qu'on subit ou par laquelle on réagit.Ce que Gramsci développe, c'est qu'une idéologie ne s'impose pas par la force. Un esprit ne rompt pas face à la violence : il plie jusqu'à pouvoir se redresser dès que la violence perd en hégémonie. En revanche, l'esprit plie et rompt devant une hégémonie intellectuelle, culturelle et spirituelle, parce que l'animal social que nous sommes a besoin de faire partie d'un groupe, et de préférence du groupe le plus nombreux, le plus puissant, qui saura le protéger, et parce que nos esprits sont donc faibles en capacité de révolte, quand l'enjeu se présente en termes de rapports de force.


Pour Gramsci, pour contrer l'idéologie fasciste qui fait préférer la concurrence à la solidarité, la discrimination à l'acceptation, la défiance à l'empathie et la soumission devant l'autorité à la dignité humaine, il ne faut pas exhorter à l'héroïsme ni moraliser le combat. Il faut normaliser l'idéal pour lequel on se bat afin que celui-ci devienne familier, évident, vraisemblable et désirable.


Aujourd'hui, l'idéologie fasciste s'est imposée partout au point que même les anciens partis de gauche ont des relents de fascisme dans leurs programmes et discours. La droite libérale est devenue haineuse. En fait, il est devenu "réaliste" de craindre l'étranger, de privilégier la sécurité, de favoriser le tout carcéral sur le tout éducatif, la primauté de la liberté individuelle sur l'intérêt collectif, l'opinion sur le fait, la croyance sur la science. C'est la raison, la solidarité, le souci de la vie et de l'avenir qui sont devenus des utopies.


Les fascistes ont gagné.


C'est pourquoi les grèves ne marchent pas.


C'est pourquoi les manifestations ne marchent pas.


C'est pourquoi la démocratie ne marche pas.


La plus grosse partie des humains est colonisée par cette pensée mortifère qui fait craindre la destruction plutôt que désirer la construction. La peur a gagné la bataille des idées.


Ceci n'est pas une publication pessimiste, malgré son apparence, mais bien une proposition de point de départ.


La plupart des gens qui ne veulent pas de ce monde se résignent à le subir, n'osent plus parler de leurs rêves, de leurs envies, de la faisabilité même d'un autre monde. Parce que la violence règne en maître.


C'est là qu'il faut frapper par la création, l'empathie et la persévérance. Face à toute manifestation d'individualisme, de violence, d'inconscience, il faut marquer l'alternative, assumer son envie d'autre chose. Pas dans l'affrontement guerrier d'un bras de fer permanent, mais dans le rayonnement serein de l'espoir et de l'envie.


Beaucoup seront sceptiques, moqueurs, humiliants, même, parfois, mais on ne peut laisser la haine gagner. Partout où l'ombre croît, allumons une bougie vacillante de notre désir d'autre chose. Au quotidien, semons ces petites flammes partout sur nos pas. Par l'amour, par l'humour, par la patience, on fera reculer l'hégémonie de la brutalité.


Évidemment qu'on sait que notre projet est plus qualitatif, évidemment qu'on sait qu'il y a urgence. Mais il n'y a pas d'autre moyen de changer les choses que par la force du nombre, et le nombre ne plie pas face au bon sens et à la qualité des rêves, mais face à la quantité des messages et manifestations qui construisent leur perception du réel.


Construisons dès aujourd'hui dans chacune de nos interactions un peu de ce monde de demain dont nous avons si absolument besoin.


Pour en savoir plus sur Gramsci, écoutez le podcast de France Culture en lien en commentaire.

Journal d'un militant.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant