Le sourire de Nasar sur la vitre de la voiture de police embrasse cette ville de France où sa nouvelle vie commence. Ces gentils policiers l'accompagnent à l'école de sa petite Tisha, car sa femme Danih est en train d'accoucher de leur fils. Les deux agents viennent de le lui faire comprendre avant de lui proposer d'aller chercher sa fille pour les accompagner.
Après plus de six mois pour traverser une dizaine de pays à la merci des passeurs et des trafiquants, à éviter les esclavagistes, à échapper aux milices, aux autorités, ils ont rejoint ce paradis où tout est possible, même le bonheur. Les steppes d'Asie sont loin, c'est vrai, et leur ciel leur manquera, mais la France est un pays qui aime les gens et assure leur bonheur.
Là d'où ils viennent, de toute façon, ce n'était plus chez eux. Des hommes mauvais ont pris le pouvoir, et leur maison a été incendiée, leurs bêtes volées. Nasar avait déjà perdu sa sœur, violée puis battue à mort par un groupe de miliciens. Leurs parents avaient heureusement rejoint leurs ancêtres pour leur ultime sommeil lors de la dernière famine.
Après trois mois d'incertitude passés dans le centre d'accueil des demandeurs d'asile, enfin, la réponse devrait bientôt arriver ! La liberté et les promesses d'une renaissance ! Ce petit garçon qui va arriver sera le premier Français de la famille, et le sourire de Nasar s'étire à cette pensée.
Il a hâte de rejoindre son épouse et d'être à ses côtés pour la naissance de leur deuxième enfant.
Lorsque Batih est mort, quelque part aux frontières de l'Europe, emporté par la fièvre dans les bras de sa mère alors qu'ils se cachaient de la police des frontières, ils ont eu envie de mourir, mais les grands yeux bruns de Tisha leur ont donné le courage d'enterrer leur petit garçon de deux ans entre les racines d'un arbre, près d'une rivière.
Nasar se souvient qu'ils ont longtemps regardé les étoiles en pleurant : s'ils ne retrouveraient pas l'emplacement du petit corps, ils pourraient désormais revenir à ses côtés en contemplant le même ciel que ses yeux fermés à jamais.
Enfin, la voiture s'arrête devant l'école, et le père descend pour franchir les grandes grilles. Il est un peu gêné des regards qu'on lui lance, mais il sourit toujours, quand même. Il sourit aussi à la maîtresse de sa fille, articule un bonjour maladroit, et il continue de sourire de gratitude à l'enseignante qui tente de mimer que tout s'est bien passé.
Nasar n'a pas encore eu le temps d'apprendre le français, et ce n'est pas sa fille de cinq ans qui peut encore l'y aider, mais elle saura bientôt parler la langue de leur nouveau pays.
Quand il révèle à Tisha que son petit frère arrive, la petite saute de joie et enfile ses chaussures plus vite que d'habitude, puis père et fille rejoignent les policiers en rayonnant de bonheur et d'impatience.
Mais Nasar ne reverra pas sa femme, ni Tisha sa mère. Ils ne rencontreront pas ce petit enfant qui devait naître dans une famille unie. Ils ne repasseront même pas chez eux récupérer des affaires. Pas même le doudou de la petite.
Danih accouchera seule. Elle nommera seule leur garçon, et, à sa sortie de la maternité, elle suivra le même chemin que son mari après quelques semaines d'attente inexplicable. Peut-être parviendront-ils à se retrouver, si le tyran en place dans leur pays leur laisse la vie sauve.
Les deux policiers étaient envoyés par le préfet pour rafler ensemble le parent et l'enfant. Parce qu'on n'expulse pas un enfant sans son parent, ni un parent sans son enfant. Mais ensemble, oui.
La voiture des agents roule jusqu'au centre de rétention administrative. Nasar ne comprend pas encore. En fait, ce n'est qu'au bout de plusieurs heures qu'il réalise qu'on ne lui demande pas d'attendre pour voir sa femme. Il y a bien des gens malades autour de lui, mais aucun n'est blanc, et il n'y a pas de médecin. Il y a surtout des hommes, mais aussi des femmes et quelques enfants.
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Journal d'un militant.
De TodoParce qu'à ceux qui se cachent derrière un "Tous pourris !" pour ne se battre pour rien je ne veux pas me contenter de répondre un méprisant "Tous navrants." ; et parce qu'à 7 milliards d'êtres humains qui souffrent à cause de quelques centaines de...