Chapitre 22 ©

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Léa jouait du piano, les yeux fermés. Elle jouait comme si sa vie en dépendait, elle jouait pour son père. Gwendolyne et elle étaient arrivées la veille chez ses grands-parents, à Brest, là où se trouvaient ses origines. Depuis qu'elles étaient rentrées de la dernière demeure des mortels, Léa jouait. Cela faisait trois ans qu'elle n'avait pas posé ses doigts sur le piano, celui en plein milieu du salon qui appartenait à son père avant. Il le chérissait tant cet instrument. Léa avait déposé une rose rouge sur l'endroit où son père reposait pour l'éternité et Gwendolyne avait fait la même chose pour sa mère. La grand-mère de Léa était venue aussi. Voir les deux jeunes filles aussi proches l'avait émue. Perdre un parent, c'est difficile, mais perdre un enfant l'est encore plus. C'est sans doute la pire souffrance qu'un être humain puisse endurer. Un parent ne devrait jamais avoir à survivre à son enfant. Ce n'est pas le bon ordre des choses. Imaginez... Vous souffrez des heures et des heures le jour de la délivrance... Votre enfant naît, pousse ses premiers cris... Et un jour, on vous appelle pour vous annoncer qu'il est décédé. Comment peut-on supporter ? Comment peut-on rester fort ? Les deux disparus reposaient à quelques mètres seulement l'un de l'autre. Hasard ? Peut-être. Gwendolyne et Léa auraient presque pu se tenir la main. En voyant cela, la mère de Théophile se mit à côté des deux jeunes filles et leur prit les mains. Touchées, elles se mirent à pleurer. La grand-mère prit leurs larmes pour un remerciement inexprimable. Telle était l'image que les autres visiteurs purent observer, trois femmes unies par la même douleur déchirante, profonde et éternelle. Le spectacle était beau et triste à la fois, tout comme la mélodie jouée à présent dans la pièce. Gwendolyne et la grand-mère de la jeune fille écoutaient cette musique douce et triste en pleurant. Aucune d'elles n'osait bouger, de peur d'interrompre la jeune fille. Gwendolyne se rendit compte que son amie pleurait pendant qu'elle jouait.

-On croirait entendre son père..., murmura la grand-mère, dont on pouvait lire l'émotion dans les yeux.

-Je ne savais pas qu'elle avait un don pour la musique...

-Depuis ses six ans, elle joue.

-Elle ne me l'avait jamais dit...

-Elle est modeste, comme son père...

-C'est magnifique en tout cas.

Léa ne semblait pas entendre les murmures à côté d'elle. La jeune fille semblait totalement absorbée par le mouvement de ses doigts sur les touches. Harmony, la cousine de Léa, arriva dans la pièce. Théophile avait en effet une petite sœur, Daphné, qui vivait aux Etats-Unis. Harmony était une jeune fille calme et discrète, tout le contraire de sa cousine. Elle était venue vivre avec sa grand-mère pour faire ses études d'arts. Sa passion était le dessin.

-Léa ne joue que quand elle ressent des émotions fortes, souvent la colère ou la tristesse, dit-elle.

-Ca se voit. On ne la reconnaît pas.

-Elle se métamorphose quand elle est au piano.

-Il faudrait qu'elle joue plus souvent...

-Jana a toujours refusé d'emmener le piano à Paris, elle dit qu'il est bien ici.

-Elle pourrait lui en acheter un ?

-Je ne sais pas..., murmura Harmony. Quand nous étions petites, j'étais jalouse d'elle. Et puis plus tard j'ai eu le dessin.

-Une famille d'artistes...

-Tout à fait. On va la laisser jouer, elle a besoin de se défouler...

Harmony entraina Gwendolyne et sa grand-mère dans le jardin. Toutes les trois s'assirent sur le banc, celui où Théophile et Daphné aimaient se raconter des histoires autrefois, celui situé sous le cerisier...

"De l'autre côté... ©" première versionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant