L'Arbre aux Secrets

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Le bûcheron leva la hache au-dessus de sa tête. D'un geste souple, efficace, il l'abattit sur la souche : Tchac. De l'autre côté de la clairière, le garçon ressentit une vive douleur au creux de l'estomac, comme si la lame entaillait sa chair. En une fraction de seconde, la vie du chêne abattu défila sous ses yeux.

Vieux de mille ans, il germait sur ces terres bien avant la venue des premiers hommes. En Automne, ses feuilles étincelaient de multiples couleurs éclatantes. Au Printemps, ses bourgeons fleurissaient d'un air royal. En Hiver, son tronc, inébranlable, affrontait vaillamment les bourrasques de neige. En Été, ses feuilles se teintaient d'un vert scintillant. Mais désormais, son bois mort servirait à alimenter leur feu...

L'image de l'arbre s'évanouit. Hako poussa un profond soupir, las et soulagé à la fois. C'était un garçon étrange, très étrange, un garçon... différent. Les autres enfants de son âge ne le comprenaient pas... personne ne le pouvait, pas même son père, Kazo le bûcheron, qui l'aimait pourtant de tout son cœur.

Il était bien le seul... ses camarades du village, eux, conscients de sa différence, refusaient de l'accepter parmi eux. Ils le moquaient, le méprisaient, le rejetaient, l'excluaient de leurs jeux. De tous ses vœux, il appelait à intégrer leur groupe, accrocher leurs sourires, participer à leurs conversations ou partager leurs secrets. Il demandait seulement à être accepté -mais c'était impossible ; il lisait dans leurs âmes, comme un livre ouvert, la crainte qu'il inspirait...

Il ne leur en voulait pas. Ils ne vivaient pas sur le même monde. Il ne voyaient pas ce qu'il voyait, lui. Azïn, le « chef » du groupe des garçons, avait raison de le traiter de fou. Il était sûrement fou. Qui pouvait, comme lui, lire les pensées des hommes ? Voir leur vie défiler en quelques instants, comme une frise pleine de couleurs ? Entendre les arbres et les plantes respirer autant qu'une foule d'humains ? Voir des images au fond des rivières autres que le reflet du ciel ? Qui pouvait parler et comprendre le langage des animaux ?

– Bonjour ! lança soudain une voix sur sa droite.

Il sursauta, relevant la tête. Absorbé par ses songes, il n'avait pas senti la présence de la corneille, perchée sur la branche d'un arbre proche.

– Bonjour ! répondit-il, distraitement.

L'oiseau fit un criaillement joyeux.

– Comment t'appelles-tu ? demanda-t-il.

Le garçon jeta un coup d'œil à Kazo. Concentré sur son travail, il ne lui prêtait pas attention. Il abattit une nouvelle fois sa hache sur le bois.

– Hako, répondit-il. Et toi ?

– Zön-ki. Dis moi, qu'est-ce qui te préoccupe ?

Le garçon baissa les yeux, embarrassé.

– Rien, mentit-il.

La corneille émit un petit criaillement, semblable à un rire.

– Je sais reconnaître quand les hommes souffrent, expliqua-t-il. Ils dissimulent si mal leurs émotions...

Le garçon releva le tête, son intérêt éveillé.

– Alors toi aussi tu vois leur vie défiler devant tes yeux, lorsque tu les regardes ?

– Non, je sais juste bien observer les visages...

– Tais-toi, dit soudain Hako.

La corneille lui lança un regard étonné.

– Et pourquoi devrais-je me taire ? fit-elle d'un air vexé.

– Parce que tu n'es pas censé parler, répliqua le garçon.

Le Dernier EmpereurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant