Par la ventripotence avancée de Cibus ! Ce qu'elle est lourde !
Et sa tenue de guerrier, renforcée de métal, ne m'aide pas à avancer plus vite.
Cela fait maintenant trois mille deux cent sept battements de cœur, qu'elle s'est évanouie. Lorsque je serai arrivée à dix mille, elle sera dans une transe si profonde qu'elle ne pourra plus se réveiller. Jamais.
Il ne nous restait que quelques centaines de mètres avant d'arriver dans son village. Elle ne peut pas flancher maintenant ! C'est trop facile de me laisser faire tout le travail !
Malgré moi, je sens une colère mêlée de frustration mettre à mal mon sang-froid. Je sais que je suis injuste, mais j'ai peur. Peur de l'inconnu et peur de l'affronter seule.
Je tends les muscles de mes cuisses au maximum et avance ma jambe. Mon pied racle le sol, soulevant un épais nuage de poussière. J'ai l'impression de marcher dans un inextricable sable mouvant ; plus j'avance, plus je crois faire du sur-place.
Mère Sauvage, aide-moi... Encore une fois, une dernière, entends ma prière. Tu l'as déjà sauvée une fois, recommences. Sinon, tes efforts auront été vains !
La carte tachée et décolorée qu'elle m'a remise est froissée dans mon poing serré, illisible. Elle est collée à ma paume par la sueur. Mais je n'en ai plus besoin, je sais où je dois aller. Toujours tout droit vers le soleil. Vers Qeleck...
Mon corps entier est recouvert d'une épaisse pellicule humide. L'effort me donne si chaud, que j'ai l'impression que mon cerveau est en train de tourner à la broche. Je jette un coup d'œil à ma ceinture où pend mon outre d'eau. Elle bat ma jambe au rythme de mes pas, me rappelant qu'elle est là et qu'elle m'attend. Elle me nargue, comme le faisaient les Ruines de Qeleck quelques jours plus tôt.
« Bois, Gaya. Bois. Tu iras plus vite, si tu reprends des forces. »
Non.
Je ne peux pas m'arrêter pour boire. Chaque seconde lui est précieuse.
Quatre mille sept cent trente-six...
À mon oreille, je l'entends gémir. Elle s'est réveillée, mais pour combien de temps encore ?
Je fais de nouveau quelques pas, tout en comptant les battements lents de son cœur. Je le sens pulser dans ses veines comme un compte à rebours mortel.
Cinq mille cent...
Mes genoux flageolent un instant et lâchent sous nos deux poids cumulés. Lorsque ma peau heurte les graviers qui jonchent le sol, je ne peux m'empêcher de grimacer.
J'ai l'impression que depuis que j'ai rencontré cette étrangère, la sensation qui s'éveille le plus souvent en moi est la douleur. Et juste derrière, la peur, la tristesse, le stress se battent pour savoir qui prendra l'avantage.
Avec mille précautions, j'allonge Émilie à côté de moi. Écartant ses paupières, je vérifie l'état de son iris. Sa dilatation est telle que je ne vois presque plus la couleur de ses prunelles. On est vraiment mal...
Je décroche ma gourde et en fais sauter le bouchon. Elle doit boire un maximum afin d'éliminer le poison. Ce dernier n'a pas d'antidote. Il faut boire beaucoup, se purger et prier encore plus si l'on veut survivre. J'espère que dans son inconscience, elle prie aussi, car nous ne serons pas trop de deux.
Je me déteste pour ce que je vais devoir faire, mais...
Une gifle retentissante fait presque vibrer l'herbe brûlée de la plaine. Du coin de l'œil, je vois même une nuée d'oiseaux s'envoler. J'y suis peut-être allé un peu fort ?

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Après les Hommes
Fiksi Ilmiah"- Putain de bordel de merde, putain de bordel de merde... C'est tout ce que mon cerveau réussit à répéter en boucle depuis deux bonnes minutes. Je lague, comme un vieil écran d'ordinateur." Gaya et Emilie n'ont RIEN en commun, pourtant, si elles ve...