Le plus beau du lycée

Marché conclu

Elle est là, seule dans son coin, contre le mur, en train de lire un livre. Je l'ai cherchée partout pour qu'on me réponde au final «Victoire ? Elle est devant sa salle, en bâtiment 4!»
Ça tombe bien, à cette heure-ci il n'y a personne en bâtiment 4, tout le monde est au self. Visiblement, ça a l'air de ne pas aller aujourd'hui. Je vais profiter de cette faiblesse pour lui soutirer des informations.
Elle lève les yeux au son de mes baskets et se décompose devant moi. Elle comprend vite que je vais lui parler et ça n'a pas l'air de l'enchanter.

-Eva n'est pas avec toi?

Elle reporte les yeux sur son livre.

-Déjà tu ne devrais pas me poser ce genre de questions. Tu ne devrais même pas envisager de la...

-Eva n'est pas avec toi?

-Non, répond-elle en soufflant d'exaspération. Je me suis engueulée avec elle ce matin parce qu'elle ne veut pas comprendre que je déteste Alice et que j'en ai marre de les voir ensemble.

-Je ne pense pas que tu dois dire à Eva qui elle doit fréquenter. Ce n'est pas ton droit.

Elle part en furie et pose son livre. Je peux même dire qu'elle l'a carrément envoyé se plaquer au sol.

-Non mais pour qui tu te prends?! Tu crois vraiment que t'es dans la meilleure position pour me dire ce que j'ai à faire avec elle?!

-Moi au moins, je ne la juge pas.

-Ah oui?! hurle-t-elle. Si tu la juges pas t'as qu'à te mettre en couple avec elle pauvre et sombre connard!

Elle m'insulte de tous les noms en sautillant du sol sur ses fesses à chaque gros mot. Je m'énerve instantanément comme un morceau de papier qui rentre en contact avec la flamme d'un briquet.

-Ferme ta gueule Victoire! J'ai un truc à te proposer!

-Déjà tu me dis pas de fermer ma gueule, et démerde-toi tout seul!

-Je comprends mieux pourquoi Eva préfère Alice à toi.

Je fais demi-tour d'une démarche énervée. Je suis désolé d'avoir sorti ça, mais là elle a dépassé les bornes à hurler comme une hystérique. Elle est tellement pète burnes, bon Dieu j'ai envie de la fracasser.

-Hélio!

Je ne me retourne même pas. Ses excuses, elle peut se les foutre où je pense.

-Parle-moi de ta proposition!

Je m'arrête. Et me retourne d'un bloc. Elle porte encore la trace de son énervement sur son visage mais elle semble ne pas vouloir me laisser partir. Je reviens vers elle et me laisse glisser contre le mur près d'elle.

-Elle est où Eva?

-Avec Hector, ils ne se lâchent plus non plus ces deux-là.

Je tombe des nues. Alors comme ça Hector et elle...
On dirait qu'une puissante main empoigne mon coeur et le fait battre de force. Une boule se forme dans le creux de mon estomac. Mais qu'est-ce qu'il m'arrive?

-Avec Alice aussi, sûrement. Mais parle-moi de cette fameuse proposition.

Je lui expose l'intégralité de mon plan que j'ai pensé et retourné dans tous les sens cette nuit.
À la fin de mon récit, je la fixe. Ses yeux ne sont pas exactement comme les miens, ils tournent vers le vert un peu comme l'eau de certaines mers tandis que les miens sont cyan.
Elle semble réfléchir très sérieusement.

-Je veux bien t'aider, Hélio. Mais je veux que ce soit Maxime qui te crache tout. Ne compte sur personne d'autre. Ton plan, il prendra énormément de temps. Es-tu prêt à être patient?

-Plus que jamais.

Elle me tend la main.
Je la saisis et la serre.

-Marché conclu?

-Marché conclu.

Des rires se font entendre dans les couloirs supérieurs. Je reconnaîtrais celui de mon meilleur ami entre mille.

-T'es vraiment une imbécile heureuse, toi! s'étrangle-t-il.

-Mais c'est toi l'abruti de service!

Au son de la deuxième voix, je regarde Victoire pour avoir la confirmation de son identité.

-Je t'avais dit qu'ils sont complices tous les deux.

À ce point, c'est chaud quand même.

-Ça va Hélio?

Je sors de ma torpeur.

-Oui, ouais ça va!

-T'es jaloux?

Je vois un large sourire s'étendre sur son visage comme lorsque l'on ouvre un éventail.

-Tu devrais voir la gueule que tu fais!

-Mais n'importe quoi toi!

-Ooooh Hélio! T'aurais dû voir les yeux que t'avais! De la pure jalousie!

Je me renferme tandis qu'elle glousse. Alors c'est ça le sentiment qui me fait mal? De la jalousie? Franchement, n'importe quoi!

-Je compte sur toi Hélio, pour t'en tenir au plan!

-Je compte sur toi aussi hein!

Je me lève, la salue et pars à mon entraînement de hand.

Tout le long de mon entraînement, mon esprit est ailleurs. Je repense à son rire dans les couloirs. Elle avait l'air si heureuse avec lui. D'ailleurs, je le vois courir vers moi et s'élancer, chargeant son bras pour lancer la balle dans le but que je garde. Je l'arrête sans pression. Et lui renvoie de toutes mes forces, les nerfs craquant. Il est étonné et me lance un rictus avec un pouce levé. J'ai envie de lui prendre et de lui mettre dans le fond de la gorge.

-Tu arriveras bien à devenir le meilleur gardien mondial si tu étais tout le temps sur les nerfs comme ça!

Mon entraîneur surgit de je-ne-sais où. Il m'a fait peur.

-Marcus, essaie-toi au but pour voir. Je vous emprunte Hélio.

Il hoche la tête et prend ma place en me filant une tape dans le dos.
Je suis mon entraîneur et il m'invite à m'asseoir sur le banc à côté de lui. Je regarde les gars jouer, yeux dans le vide.

-En ce moment, t'es à la traîne en entraînement. Je sais pas ce qu'il se passe, mais si tu te ressaisis pas je ne te ferais pas passer les mondiaux. Tu sais à quel point c'est un gros point pour ta carrière. Et pour celle du club.

Je hoche la tête en silence. Je pense beaucoup trop en ce moment et j'en prends conscience. J'ai même pas envie de jouer en ce moment, garder un but n'est même pas ma priorité, je préfère faire le gardien envers elle et elle seule.

-Qui c'est?

Je le fixe dans les yeux.

-Qui c'est de quoi?

-Cette fille!

J'ai un mouvement de recul.

-Qui t'en as...

-Personne. C'est juste que ça se voit à des kilomètres et on le voit mieux quand on l'a déjà été.

-C'est très compliqué...

Il me serre le biceps, se faisant passer pour un confident. Alors je me lâche, sous tous les angles, depuis le début.
Il sourit à la fin de mon récit.

-Maxime te cache quelque chose, c'est certain que tu as raté la dispute entre eux et que tout a dû sortir à ce moment là. Faut le faire cracher et ton plan n'est pas le plus pourri. Allez, file, va jouer, ça s'épuise là-bas.

Je le remercie et retourne à ma place. Le soir, Hector est parti manger avec Eva, et j'ai dû prendre Victoire avec nous afin de ne pas la laisser seule. Tout s'est passé à merveille. Je crois qu'elle plaît à Léo, un gars du hand.
Même si, une fois dans mon lit, je sens la lourdeur du regard de Maxime sur moi.