5. Vers le pic des étoiles 2/4 (réécrit)

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Le médecin lisait déjà un livre tandis que l'apprenti calait son sac sous ses pieds. Il se tenait sur une banquette plus étroite qui longeait le côté de la voiture, pas très loin des deux femmes. Luiset se leva pour aller vers l'avant qui était désert.

– Mademoiselle Luiset, revenez à votre place ! Vous allez tomber !

De fait, la jeune femme devait tout de même avancer en se tenant au mobilier, malgré la vitesse lente des chevaux et la bonne qualité des amortisseurs. Garrett s'était levé pour l'accompagner :

– Attention, mademoiselle.

– Merci, mais tout va bien. Hein, Na ? Je ne suis pas en sucre.

Elle s'assit sur la première banquette à gauche, près de la porte. 

– Oh, vous pouvez vous asseoir, dit-elle à l'apprenti resté debout en se tenant au bord de la fenêtre.

Anna Grimsey surveillait sa nièce du coin de l'œil alors que le jeune homme prenait place à côté d'elle, veillant bien à laisser une distance convenable. Elle s'accouda à la fenêtre et passa sa tête par l'ouverture. Il faisait bon au soleil. Jusqu'aux dernières rues de la ville, les passants s'arrêtaient pour observer cette grande diligence que beaucoup n'avaient jamais vue. Luiset tordit le cou pour apercevoir Malty, le cocher et Lieu, le postillon, mais elle ne put distinguer que l'épaule de celui qui tenait le fouet. Les chevaux, massifs et gracieux, avançaient avec précise cadence. Elle aimait la symphonie de leurs sabots battant le sol.

– Ne vous faites pas piéger par le soleil, mademoiselle Luiset. Refermez la fenêtre, s'il vous plaît, c'est le meilleur moyen d'attraper le mal.

Garrett aida la jeune femme à faire coulisser la vitre mais elle ne quitta pas les ruelles du regard pour autant.

Au fur et à mesure, la diligence s'éloigna des habitations et se retrouva sur une route de campagne. Les champs nus attendaient patiemment les prochaines semences. Quelques agriculteurs optimistes plantaient déjà des graines de capucines sur des lopins abrités.

– Bon, pas grand-chose à voir pour l'instant, dit Luiset qui s'adossa plus confortablement contre le dossier de la banquette.

La crainte de l'ennui l'enjoignit à débuter une conversation avec le jeune Jame qui n'avait pas bougé.

– C'est normal que vous soyez désigné pour faire le voyage avec les clients ? Vous le faites à chaque fois ?

– En fait, non, mademoiselle, c'est exceptionnel. Je suis arrivé à la fin de mon apprentissage et c'est la coutume de la compagnie que chaque apprenti effectue un itinéraire long pour obtenir son certificat. Cela nous permet de connaître exactement l'état des routes, de faire un rapport précis à monsieur Totter. Nous devons aussi faire en sorte que le voyage soit agréable pour les clients, puis ramener la diligence intacte, bien sûr.

Luiset sentait que Garrett Jame avait un caractère affirmé, bien plus qu'elle ne l'avait pensé et cela lui plaisait. L'occasion de parler avec un jeune de sa trempe était rare, et tant pis si ce n'était que l'apprenti de la compagnie. 

– C'est un bon moyen de vous faire pratiquer. Et comment se débrouilleront-ils pendant votre absence ?

– Certaines de mes tâches sont réparties entre les employés mais le plus important est fait, je me suis arrangé pour mettre le plus de choses en ordre avant mon départ. Puis, monsieur Totter prendra sûrement un autre apprenti et je pourrai trouver du travail à la capitale.

– Vous repartez directement après nous avoir déposés au Mont ?

– Non, j'y resterai deux nuits le temps de finaliser mon rapport et me reposer.

Ils restèrent silencieux quelques secondes. Le médecin poursuivait sa lecture, sa tête posée sur son poing, et Anna commençait un travail d'aiguilles, puisque le relief plat de la campagne le permettait. Mais la jeune Madison n'était pas prête à accueillir le silence au sein de la diligence :

– Vous pouvez me poser des questions, pour passer le temps.

– Euh... très bien. Puis-je me permettre de vous demander ce que vous allez faire au Mont ?

– Comme vous l'avez sans doute compris, je rejoins mon père là-bas. Il voyage beaucoup et voudrait être avec moi pour fêter mon seizième anniversaire...

– Mademoiselle Luiset, venez m'aider s'il vous plaît ! J'ai besoin d'une troisième main, interrompit Anna Grimsey.

Garrett Jame raccompagna Luiset qui aida sa tante à poursuivre son ouvrage. Elle se doutait qu'elle devait voir d'un mauvais œil ce rapprochement avec l'apprenti. Elle dût donc se résoudre à accepter le calme matinal.

Comme convenu, la diligence s'arrêta vers midi. Les passagers allaient déjeuner sous un grand chêne au bord de la route. Excepté quelques arbres de-ci, de-là, ils étaient en rase campagne, déjà loin de tout.

– Quel plaisir de se dégourdir les jambes ! chanta Luiset en faisant des va-et-vient sur la terre ferme.

– Oui, bien, n'allez pas trop loin, mademoiselle. Ne comptez pas sur moi pour courir vous rattraper dans les champs !

Garrett vint à la rencontre de ses deux compères.

– Tout va bien les gars ? demanda-t-il.

– Parfaitement. Nous avons passé la borne milliaire à l'heure, dit fièrement Émile Malty en époussetant son uniforme bleu.

– J'donne l'eau aux ch'vaux, annonça Lieu.

Une heure fut nécessaire pour la pause : les employés installèrent la table pour qu'Anna, Tiam et Luiset puissent manger à l'assiette de la charcuterie avec des pommes de terre. Pendant ce temps les autres s'éloignèrent plus loin pour parler de la suite, un morceau de pain au fromage à la main, puis faire le tour de la diligence et enfin ils débarrassèrent et replièrent l'installation avant de remonter en voiture.

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant