Chapitre 1

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Daphnée

La tête baissée, les épaules rentrées, je serrai contre moi la seule raison de mon calme olympien face à cette situation. Mon petit frère, Jason, était blotti contre ma poitrine, les yeux écarquillés par la peur. Nous nous trouvions face à une foule gigantesque de grandes personnalités romaines. La raison de notre présence ? Nous allions être vendus comme de vulgaires objets. Nous étions désormais des esclaves. Ma gorge se noua à cette pensée. Mes muscles endoloris témoignaient des mois éprouvants que nous venions de vivre. Nous avions passé toutes nos journées à marcher, les mains liées par une corde et encerclés par des soldats. Nos nuits étaient de courtes durées, à peine quelques heures pour reprendre des forces. Nos journées, quant à elles semblaient interminables. Nous étions ballotés de villes en villes telles des marchandises qu'il fallait livrer à bon port. Nos repas se limitaient à un bout de pain rassis et un litre d'eau par jour. La faim qui me tenaillait le ventre depuis trois mois était désormais une sensation familière. Une vingtaine de personne se trouvaient dans ce cas là, après qu'ils aient pillé un petit village de Gaule. Mon village. Je ne savais pas ce qu'étaient devenus nos parents, seulement que tous nos biens étaient partis en fumée. Etaient-ils encore vivants ? Après cette terrifiante nuit, les troupes romaines avaient intercepté tous les enfants et adolescents pour en faire des serviteurs de l'Empire. Heureusement pour nous, notre voyage avait eu lieu d'avril à juin. Le temps avait donc été supportable car il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid. Certains enfants s'étaient échappés, d'autres avaient tenté la fuite mais avaient été rattrapés et tués. Enfin, les moins chanceux étaient morts de fatigue ou de faim à petit feu. Ces images resteraient à jamais gravées dans ma mémoire. Mon principal regret était la perte de mon meilleur ami, Alexandre. Son rire et sa bonne humeur me manquait. Le seul objet qui me rattachait à lui était un fin bracelet en bronze qu'il m'avait offert un soir, quelques jours avant l'attaque. Mon foyer aussi. Je soupirai. Au moins, mes deux uniques frères se trouvaient à mes côtés. Marcus, mon ainé de deux ans posait un regard protecteur sur moi. Je voyais à ses épaules tendus qu'il était terrifié par le sort qui nous attendait. Ses cheveux couleur corbeau et ses yeux marrons contrastaient avec mon physique. Des personnes n'ayant pas connu notre lien de parenté n'auraient pu le deviner au premier abord. Il me fit un faible sourire, pour me rassurer. Ses bouts de tissus qui lui servaient d'habits tombaient en loques. Nous portions nos vieux vêtements depuis si longtemps qu'ils n'étaient à présent qu'un vieux tas de haillon.

Après quelques instants de silence sous un soleil de plomb, un homme s'avança sur l'estrade destinée à notre exposition. Il avait un regard de rapace, comme si, d'un instant à l'autre il allait sauter sur ses proies. Nous. C'est un peu le cas, pensai-je amèrement. Nous sommes à sa disposition, sans aucune échappatoire possible. Tout son être respirait la morosité. Ses yeux d'un gris pâle se combinaient parfaitement à ses cheveux ternes. Il devait avoir une soixantaine d'année. Son dos était courbé et sa silhouette maigrichonne. Le vieillard se racla la gorge et commença de sa voix rocailleuse :

- Citoyens, citoyennes, j'ai le plaisir de vous annoncer l'arrivée d'esclaves venus de Gaule en parfait état. Ils ont entre huit et vingt-et-un ans et tous ont une santé de fer. Nous dénombrons six filles et dix-sept jeunes hommes. La totalité sait parler couramment latin. Nous allons commencer les enchères. Un prix sera annoncé après que l'esclave ait annoncé ses qualités, et c'est vous qui disputerez des prix. Chaque famille souhaitant acheter plusieurs serviteurs en aura la possibilité. Que la vente commence !

Je resserrai mon étreinte autour de mon petit Jason. Je ne voulais pas qu'il soit séparé de Marcus ou moi. Il était trop jeune et insouciant. S'il tombait dans une mauvaise famille et qu'il se faisait maltraiter, je ne pourrais rien faire, et pour cela, je m'en voudrais éternellement. Une goutte de transpiration coula le long de ma tempe. Notre sort n'avait pas l'air d'inquiéter les dieux. Un bleu azur s'étalait sur le ciel et pas un seul nuage n'était en vue. J'abaissai la tête et fixai l'attroupement qui s'était créé. Cherchant sur toutes ces figures, un visage avenant. On trouvait de tout. Des bambins, des adultes et des personnes âgées. On décelait plus d'hommes que de femmes, mais il y avait néanmoins beaucoup de dames et demoiselles. La plus grande partie de la foule était riche. Je le remarquai aux tuniques de couleur jaune et aux nombreux bijoux qui les paraient. Certains discutaient à voix basse, d'autres examinaient la scène, attendant impatiemment le début des enchères. J'espérais sincèrement tomber sur de bons maitres. Je ne me faisais pas d'illusions. Je savais que désormais, ma vie ne serait plus aussi douce qu'elle l'avait été. Dorénavant, le travail, la fatigue et la pauvreté seraient les principaux mots de ma nouvelle vie. Je désirais seulement tomber sur une famille qui ne me maltraiterait pas et me considérerait en tant qu'humain et non pas en tant qu'animal. Une jeune mère de famille nous regarda d'un air gentil et je me pris à espérer qu'un de nous trois finissent avec elle. Au contraire à son coté, un homme d'une trentaine d'années fixait nos jeunes corps avec dédain et supériorité. Encore un qui devrait se remettre en question. Le reste des romains se divisait en deux groupes. Ceux qui paraissaient sympathiques, ceux que je jaugeais méprisant. Je repérai dans ce second groupe un jeune homme d'une beauté affolante. Il devait avoir mon âge, un ou deux ans tout au plus. Ses cheveux bruns coupés courts, projetaient des reflets dorés grâce au soleil. De loin, je ne pouvais discerner la couleur des ses yeux, mais leur claireté contrastait avec sa chevelure. Il dépassait la foule d'une demi-tête et une tunique supportait ses puissants muscles. Il semblait ennuyé d'être là. Comme si des choses plus importantes l'attendaient. Et bien pars, ruminai-je, ce n'est pas comme si le sort de plusieurs vies allait être jeté d'un instant à l'autre. Je détournai le regard, agacée.

La tête baisséeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant