Non non non. Pas maintenant, merde. Il y a à peine cinq minutes, j'étais prête à traverser l'océan à la nage. Alors non, pas maintenant.
Je me suis relevée dans un effort insurmontable, reprenant la batte de baseball contre moi, la serrant à m'en faire exploser les veines du poignet. Un mélange de peur et de haine faisaient trembler chacun de mes membres. Le souffle court, je me suis avancée vers l'homme. Je ne pouvais détacher mes yeux des siens. Ils ne reflétaient rien. Deux yeux jaunes. Deux yeux morts. Je les haïssaient. Je les haïssaient aveuglement. Car je n'ai rien vu de ce qui s'est passé ensuite, ni combien de temps ce "ensuite" a duré.C'est Jonathan qui m'a arrêté, qui m'a remis debout sur mes deux jambes.
L'homme se trouvait maintenant à nos pieds, immobile, le visage couvert de sang. Le même sang qui coulait de ma batte au long de mon poignet. Je l'ai tué. Son regard était tourné vers moi. Ils avaient perdus leur lueur. Leur vide me pénétrait douloureusement, détruisant chaque cellule de mon estomac. Ses yeux morts me fit froid dans le dos, ils semblaient m'accuser du pire crime que l'on peut perpétuer. J'ai tué un homme.- Ce n'était pas un homme, me répétait mon camarade.
Qu'est-ce qu'il en sait ? Il n'en sait rien. Il ne peut pas le savoir.
Est-ce qu'il avait des sentiments ? Est-ce qu'il ressentais quelque chose ? Est-ce qu'il était amoureux ? Est-ce qu'une famille l'attend quelque part ? Est-ce que... j'ai tué un père de famille ?
Il n'en sait rien. Et j'en sais rien ! J'ai tué un homme, merde, j'ai tué un homme.
- Ton premier ! Tu l'as réussis du premier coup !
Non Jonathan, non, ça n'était pas un jeu. Pas à ce moment là.
- On s'en va.
Il fallait que je me casse d'ici. J'ai tué un homme. Je ne pouvais pas rester une minute de plus ici.
Alors on est parti comme ça, laissant deux personnes derrière nous. Des personnes tuées de nos mains, probablement des familles détruites, et des questions sans réponses. Et si j'avais su tout le temps qu'elles m'hanteraient, j'aurais fait demi-tour, et j'aurais exigé qu'on les enterre comme Emily, qu'on leur redonne leur dignité.
Mais je ne l'ai pas fait. Et aujourd'hui, je ne cesse de rêver de leurs visages éteins, de leurs pupilles pleines de reproches. De Mme Wilton, de cet homme et de tous les autres qui ont suivis.- Tu devrais t'en débarrasser, m'a conseillé Jonathan en parlant du petit cadre que je tenais entre les mains.
- Pourquoi ?
C'était une photo de ma famille - ma mère, mon frère et moi - sur le Champ-de-Mars. Elle datais d'il y a quelques années déjà. Nous passions un bon moment, chacun souriait.
- J'avais emporté une photo de ma famille, moi aussi, c'était une mauvaise idée.
Il a laissé un court silence, se concentrant sur le virage qu'il prenait, avant de reprendre :
- Elle me donnait envie d'abandonner. De me foutre en l'air aussi. Je l'aurais probablement fait si tu n'était pas là. Je n'aurais pas été capable de continuer sans Emily.
Je le regardais tandis qu'il parlait. Lui restait les yeux rivés devant lui. J'aurais aimé avoir sa force. Sa petite amie est partie et je ne l'avais pas revu verser une larme depuis. Et il fallait l'écouter parler pour comprendre à quel point il l'aimait.
Il ne ressentais rien. Il semblait gérer les événements avec perfection, sans faillir. J'ignorais comment mais il y arrivait. Je veux que ce soit aussi facile pour moi que pour lui.
- Tiens.
Je lui ai tendu le cadre photo.
- Tu es sûre ?
- Complètement.
Je le voulais vraiment. Je savais qu'il avait raison. Il en était la preuve même. S'il réussis, je peux réussir.
- D'accord.
Il a pris le cadre et a baissé sa vitre. Puis il l'a jeté. J'ai juste eu le temps d'entendre le verre se briser sur la route, brisant mon coeur en même temps. Je me suis renfoncée dans mon siège pour regarder la route. Je n'en avais pas besoin.
- Je n'ai jamais vu un film où les acteurs abandonne, a conclu mon camarade après de longues minutes de silence.Mais j'ai tué un homme.
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Comme dans un film américain
Science FictionComment se fait-il que le ciel semble si différent ce soir ? Nous ne sommes peut-être pas les héros qui auront sauvé le monde, mais nous sommes ceux d'une histoire, de notre histoire. ♠ Merci à Hatice-S, créatrice...