Je me trouve dans une petite pièce aux murs gris, sur un banc en bois loin d'être confortable, qui mesure toute la longueur du mur. Il y a le même juste en face. La seule source de lumière parvient d'une fenêtre tellement étroite que je ne peux même pas y passer ma tête. Dans tous les cas, elle se trouve trop en hauteur pour pouvoir regarder de l'autre côté. Il y a exactement la même fenêtre juste en face. Ce cube dans lequel je me trouve, possède également deux portes, l'une à côté de l'autre sur le mur à ma gauche. Cette pièce est d'une parfaite symétrie que cela en est troublant. À quoi cette pièce peut-elle servir au juste ?
Je ne dois pas être le seul à me poser cette question. En face de moi, sur l'autre banc, est assis un jeune homme qui doit probablement avoir le même âge que moi. Il semble aussi perdu que moi d'ailleurs. À chaque fois que je jette mes yeux sur lui, il me dévisage également.
J'ai même parfois l'impression qu'il se moque de moi tout en me jetant un regard d'incompréhension et de haine. Pourquoi tant de violence et de noirceur dans ses yeux ? Le plus étrange c'est que je crois que je lui lance le même regard. On doit sans doute ressentir la même chose. Dans cette pièce maussade et froide. Le banc est inconfortable et le peu de lumière rend le visage de mon voisin assez sombre. Je ne distingue pas vraiment ses traits. Il paraît basique : cheveux courts et bruns comme moi, des yeux dont je ne distingue pas la couleur et une taille, j'imagine similaire à la mienne, maigre et courbé.
Peut-être que lui sait où nous nous trouvons. Je n'ose pas lui parler. Il n'a pas l'air de vouloir collaborer. Il continue de me fixer. Je me décide finalement à parler, je bredouille :
- Excuse-moi tu...
J'arrête soudainement mon marmonnage parce qu'au même moment, le garçon a ouvert sa bouche. Il a apparemment commencé sa phrase de la même façon par "excuse-moi". Je lui cède :
- Non vas-y.
Il le fait aussi.
Je ne bouge plus en le regardant sans rien comprendre. Pourquoi est-ce qu'il dit la même chose que moi ? Son incompréhension se lit sur son visage légèrement inquiet. Je recommence :
- Qui es-tu ?
Et c'est reparti. Le mime continue.
- Pourquoi fais-tu comme moi ?
Ai-je besoin de préciser qu'il l'a, bien évidemment, dit aussi ? Le plus troublant est qu'il me semble entendre une seule voix : la mienne. S'il parle, alors pourquoi je ne l'entends pas ? Serait-ce juste de la provocation ?
Je continue encore et encore de le fixer. Il fait de même.
Puis je décide de me lever. J'ai arrêté de m'étonner lorsqu'il se lève aussi. Mais le pire, c'est que je n'ai pas l'impression qu'il reproduit mes mouvements pour m'agacer. Non, il fait comme moi en même temps ! Pour vérifier ce fait, je lève ma main droite, lui aussi, je mets ma main devant ma bouche, lui aussi, je prends une mèche de cheveux que je soulève, lui aussi. Et tout ça dans une parfaite synchronisation. C'est vraiment étrange. Je n'ai pas peur, je ne stresse pas. Je me demande juste pourquoi ce gars est là.
J'ai même l'impression que ce garçon est moi. Je veux dire qu'il est mon double, que je me vois faire mes mouvements de face.
Comme si je suis l'acteur et le spectateur de moi-même.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Je m'approche de mon camarade, je tourne la tête sur le côté et observe son visage.
- Alors, tu es moi ?
Je tends ma main gauche vers lui et ma paume se plaque contre la sienne. Cependant, ce que ma main touche est froid et lisse. Ce n'est pas une main qui entre en contact avec la mienne. Je ne comprends vraiment rien à rien. C'est quoi ce cauchemar ? Qu'est-ce que je fais ici ?
Je tente d'avancer, de passer derrière "moi" mais en vain. Je me heurte à chaque tentative à ce truc, contre mon compagnon qui tente aussi de passer. Je suis un peu perdu. Est-ce lui qui est froid et lisse ou est-ce autre chose qui se situe juste entre nous deux ? Je penche pour la deuxième hypothèse. Mon double semble être fait de la même "matière" que moi.
Rien que de penser ça, j'ai l'impression d'être fou.
Je retourne m'asseoir. Soudain j'ai une révélation. Je vois le banc, la fenêtre, la porte, cette parfaite symétrie. Alors, tout ce qui se trouve derrière ce que je qualifie de mur invisible, serait le double de mon côté de la pièce ? C'est probable.
C'est franchement étrange de pouvoir voir à quoi on ressemble, de se voir bouger, de se regarder dans les yeux. Je me considère comme chanceux tout de même. Qui a la possibilité de se contempler ? Je sais enfin qui je suis. Physiquement. Enfin, si mon hypothèse de me retrouver en face de moi même est la bonne. J'admets que c'est farfelu mais c'est la seule possibilité.
Face à face.
Face à moi-même.
Spectateur et acteur.
Sentiment étrange.
Comment appeler ce "mur", cette paroi magique qui me permet de savoir ce que les autres voient quand ils me regardent ?
Soudain les deux portes s'ouvrent. Enfin, une seule en fait, si je me réfère à mon hypothèse de double.
Une voix rauque m'ordonne :
- Sors de là.
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PS : Ceci est ma façon de mettre en scène le stade du miroir : moment où l'enfant réalise la synthèse de son image corporelle devant le miroir en prenant conscience peu à peu de son identité et de son intégrité propres par rapport au monde extérieur. (cnrl)
Attention à la confusion : c'est bien un jeune homme ici qui découvre son image or ce sont les enfants habituellement qui passent par le stade du miroir.
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Face à Face
Short StoryQu'est-ce que cela vous fait de vous retrouver en face de quelqu'un qui vous dévisage ? Face à face, vous partagez la même expérience. * Face à Face fait partie de la même collection que "C'est absurde !" avec laquelle je joue avec les mots et des s...