Scarabée

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Je marchais depuis un bon moment. J'avais la tête ailleurs et j'avais justement besoin de prendre l'air. Je m'étais décidée à m'enfoncer dans le bois qui se trouvait après le village où j'habitais, sur le flanc de la montagne. Je me lançai sans point de repère sous les arbres qui semblaient m'emprisonner de leurs branches. Il faisait sombre et humide. Mes pieds me faisaient aussi mal que la tête. Je n'avais qu'une seule envie : m'écrouler sur le sol et verser toutes les larmes qui restaient bloquées en moi et qui m'empêchaient d'avancer. Puis, j'étais tellement occupée à retenir mes larmes que je ne regardais pas devant moi. Mon pied se prit dans une branche et je m'étalai par terre. Je ne pus retenir ma tristesse plus longtemps. Je me relevai dans un râle parce que je voulais continuer de me perdre dans cette forêt sombre. Néanmoins, cette chute ne m'avait pas suffi puisque je ne prenais toujours pas le temps de regarder où je marchais. Lorsque je baissai les yeux pour voir mes pieds, j'aperçus un scarabée que j'avais dû écraser sans le vouloir. Je me sentis mal. Je m'en voulais. Le regret me rongeait le cœur. Cette créature ne m'avait rien demandé et moi je débarquai avec mes grands pieds sans me préoccuper de ce que je pouvais faire. C'était injuste et j'étais sûrement un monstre.

Puis, en tournant le dos à ce scarabée  innocent, je constatai un trou de lumière qui venait du fond à gauche du maigre chemin qu'avaient dû créer les animaux habitant ces lieux. Déterminée, je me dirigeai vers ce puits de lumière. Il pouvait probablement enlever l'ombre qui vivait en moi.

Ce que je découvris me chamboula l'esprit. Je me trouvais au bord d'une petite falaise qui m'offrait une superbe vue sur la montagne et sa forêt qui le couvrait comme si ces arbres la protégeaient. De peur de tomber, je m'agrippai à un énorme tronc, celui d'un arbre majestueux. Il possédait de longues et grosses branches avec un feuillage vert foncé et épais qui forma comme un dôme au dessus de moi. C'était à ce moment que je me maudis puisque je n'y connaissais rien en arboriculture. J'étais incapable de dire le nom cet arbre. Je me rendis compte du temps qu'il lui avait fallu pour avoir pris une telle ampleur. C'était un vieil arbre qui m'impressionna. Cependant, je pensai que le plus impressionnant était le paysage auquel je faisais face : une étendue de forêt, une vallée où coulait une rivière, un monde qui s'éveillait en lassant pousser des feuilles bien vertes, des bourgeons qui faisaient apparition. Plusieurs couleurs parsemaient le paysage. C'était un superbe palace pour y accueillir une faune et une flore qui émergeaient de l'hiver.

Le printemps. La saison du renouvellement, du changement. L'éternel recommencement.

Une brise passa soulever mon chemisier et secoua mes cheveux, puis sans le vouloir, des larmes chaudes dévalèrent le long de mes joues. Il était temps pour moi de renaître, de sortir de l'hiver. J'avais l'impression de me confondre avec ce qui se trouvait face à moi. De suivre leur rythme.

Je m'assis, le dos contre mon arbre protecteur en prenant le temps d'observer ce qui m'entourait. Des insectes dansaient dans la terre tandis que les autres dansaient dans les airs. Les oiseaux chantaient au dessus de moi. Je dus admettre que certains chants me surprenaient. C'était dingue de voir ce monde complexe et pourtant harmonieux, vivre au rythme du souffle naturel. Il n'y avait rien d'artificiel. Une nature simple s'offrait à moi.

C'était la vie. Oui la nature n'était composée que de petits bouts de vie. J'étais chagrinée de voir que je ne valais pas plus qu'un scarabée mais après tout, nous ne formions qu'un. Il me suffisait de comprendre la beauté et le calme de la nature pour me sentir mieux. Pourquoi m'étais-je embarrassé pour des choses qui n'en valaient pas la peine ? Je n'avais mené qu'une existence artificielle.

Ce face à face avec ce paysage me transforma.

En rentrant chez moi, je prenais enfin le temps de regarder autour de moi, de faire attention où je mettais les pieds, en écoutant les oiseaux. Tout me semblait si fragile et éphémère. J'admirai enfin les choses simples. Puis je me dis que ma colère et ma tristesse n'étaient que passagères.

Je me dis qu'il fallait apprendre à vivre comme un papillon, un scarabée ou un bourgeon. Il y aura toujours des embûches mais ça n'empêche pas d'avancer voire même de recommencer. Comme le printemps après l'hiver.

Face à FaceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant