Tous dans la pièce blanche et vide à mes yeux étaient compatissants. Je le sentais assez aisément. Morgane, elle, paraissait telle une potion de tristesse et de rage.
Alors que je l'observais, elle détourna son regard de la fenêtre qui offrait une vue sur l'autre côté de l'hôpital, un paysage monotone et déprimant. D'un geste bruste, elle s'approcha de moi et me frappa la joue droite de sa main pâle. Jérémy aggripa aussitôt ses deux bras pour l'éloigner de moi.
Je restais calme, fixant le sol, la joue rougie par le coup.
"Tu n'as pas le droit ! me cria Morgane, toujours tenue par Jérémy."
À cette phrase qu'elle m'hurla plusieurs fois, je souriais. À la vue de mes lèvres relevées, celle-ci s'échappa de l'emprise du grand brun pour me lancer :
" Ne sois pas égoïste ! Nous sommes là et il y a aussi les amis que tu t'es fait avant l'accident et que tu as oublié.. Bien-sûr que c'est dur de vivre avec le deuil de sa mère mais je ferais tout pour te rendre heureuse ! Je suis prête à tout recommencer avec toi mais s'il te plaît reste ! Ce que tu dis là est un appel au secours, et nous sommes prêts à y répondre ! Écoute ! Il va falloir que tu rencontres certaines personnes et tous nous allons t'aider. Si tu souhaites rester uniquement avec Jeremy, Laëtitia ou moi c'est comme tu veux ! Seulement, promets nous de rester ! "
Ce discours héroïque de sa part me fit étrangement rire.
"Je m'en fous de vous et de ceux que j'ai pu rencontrer avant. Je ne les connais pas. Je vais rejoindre ma mère et vous ne m'en empêcherez pas." dis-je, les bras tendus et les mains appuyés sur le lit.
Tous les trois restèrent silencieux. Laëtitia sortit de cette chambre 10 et lorsqu'elle revint, elle était accompagnée par un infirmier métisse aux yeux marrons d'un nounours.
Celui-ci demanda aimablement à Jérémy, à Morgane et à sa collègue de sortir.
Nous parlâmes pendant près d'une heure, il me semblait pourtant que nous n'avions discuté que pendant quelques minutes.
Il était compréhensif avec moi, il m'avait parlé de ses origines africaines et de sa mère qui était décédée également. Il me raconta aussi comment il eut envie de devenir infirmier en France, alors qu'il avait habité quelques années au Yémen.
Au cours de ce dialogue, j'avais rencontré la seule personne qui me comprenait et cela m'avait fait du bien. Il s'appelait Rahman. Il évoqua quelques fois la pauvreté de son pays et finit même par avoir le même discours que tous les adultes européens, selon moi : "L'accès à l'école est une chance."
Seulement, dans sa bouche à lui, cette phrase prenait tout son sens. Il ne disait pas ça pour son image, il le disait car c'était un constat qu'il avait fait.
Après cette heure de dialogue, nous avions tous deux presque oublié le sujet initial, qui correspondait à mon envie suicidaire. Elle n'avait pas disparue, mais elle avait maintenant l'aspect d'une idée un peu trop radical, et pas assez réfléchie.
La vie était toujours autant dégueulasse, mais Rahman et moi avions établi un pari qui demeurait ici pour me maintenir vivante, d'une certaine façon.
Il laissa ainsi rentrer mes accompagnateurs.
Il leur résuma brièvement notre échange, et laissa la parole à mon copain imaginaire, qui avait à ce moment là les yeux embrumés.
" Nous sommes en vacs, comme tu le sais. Tu as loupé 2 mois de cours, alors ils te feront sûrement redoubler pour que tu passes ton bac dans de bonnes conditions. Vu que tu as dix-huit ans et que tu as emménagé avec Morgane, il va peut-être aussi falloir passer ton permis. Mais... " Il marqua une courte pause, puis il reprit.
" - Je pourrais comprendre que tu n'aies pas la tête à faire tes heures de conduite, néanmoins vu que tu as eu ton code saches que tu en as la possibilité.
- Je m'en souviens, je l'ai eu en Novembre... de l'année dernière du coup. "
Il acquiesça, le sourire aux lèvres.
Rahman prit la parole quelques instants afin d'insister sur le fait que les moniteurs, à cause de mon accident, allaient peut-être douter sur ma capacité à me souvenir du code de la route. Alors que cet infirmier avec qui je me sentais proche m'annonçait ce qui apparaissait comme une mauvaise nouvelle, Jérémy lança :
" Ça ne fait rien alors ! Je veux bien t'emmener en cours jusqu'à que les choses évoluent ! Après tout, nous sommes supposés être en couple ... "
Lorsqu'il eut prononcé le mot « couple » en m'incluant dedans, je rougis involontairement.
" C'est gentil, mais si je redouble, ça ne servira à rien que j'aille en cours jusqu'à la fin de l'année... "
Les deux infirmiers m'exposèrent les raisons pour lesquelles je devais retourner au lycée, malgré cela. En effet, il fallait quand même que je passe le BAC. Il était évident que je ne l'aurais pas, alors pourquoi m'infliger cet examen pourri ? En guise d'entraînement, apparemment, mais aussi parce que c'était dans les règles. Avec tout ce que je viens d'avaler comme nouvelles, il faut que je retourne là où je n'ai pour amis que des étrangers ? Laëtitia soupira. C'était comme si elle avait lu dans mes pensées. Elle m'avoua qu'elle trouvait injuste que j'ai à passer le BAC avec ces conditions.
Soudain, Morgane, le poing et les dents serrés, marmonna :
" Il nous reste à peine deux mois de cours. Le BAC est en juin. Je pourrais peut-être t'éclairer sur ce qu'il faut apprendre... S'ils veulent te faire passer ce BAC, je ferais en sorte que tu ne le passes qu'une seule fois ! Dans le pire des cas, tu redoubleras comme ils l'ont prévu. Mais si au moins il y a un espoir pour que tu l'aies, même sans mention, il faut saisir cette opportunité. "
Je souris à cette idée.
Ce serait l'idéal...
" Nous habitons ensemble, je sais que cela va être dur pour toi, mais j'aimerais y croire, s'il te plaît. " me dit en souriant Morgane.
Alors que je souhaitais pleurer car j'avais l'impression qu'on oubliait ma souffrance, Rahman me murmura à l'oreille :
" Si tu pleures trop parce que tu as perdu ton soleil, tes larmes t'empêcheront de voir les étoiles... "
Alors, j'ai rendu son sourire à Morgane.
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Morgane
RandomKiana Oliver, une lycéenne menant une vie assez banale, apprend qu'elle a été victime d'un traumatisme crânien, provoquant chez elle une amnésie assez importante. C'est ainsi qu'elle découvre cinq mois de sa vie qu'elle a absolument oublié. Dans ce...