Chapitre 5 - Les plaies oubliées.

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Je restais immobile, sur mon lit d'hôpital. Étrangement, je me mis à porter de l'attention à ce que Laëtitia disait. J'ai pu voir, dans les yeux de Morgane et Jérémy, ce même scintillement. Cependant, là, j'ai su l'identifier. C'était de la tristesse.

Morgane prit la parole.

" La nuit du 23 décembre, il neigeait beaucoup. Ce soir là, j'étais dehors, assise sur un banc, non loin de ta maison. Tu m'observas très longtemps. Je t'avais remarqué, vu que la lumière de ta chambre demeurait allumée. Lorsque je te jetais des regards, tu les esquivais furtivement. Ce soir là, mon père m'avait mis dehors. Vers 23 heures, ta mère est montée dans ta chambre, et elle t'a vu me regarder. Il m'a semblé qu'elle te disputait, mais au lieu de ça, vous êtes toutes les deux descendues et avaient ouvert la porte d'entrée. Ta mère, sous les étoiles, m'a alors demandé si je voulais rentrer me réchauffer. Cette nuit-là, tu m'as souris pour la première fois. Il s'agissait de notre rencontre. J'adoptais rapidement l'idée de rentrer chez toi, alors, c'est ce qu'il s'est produit. Nous avons appris à nous connaître et nous nous sommes rapprochées. "

A ces mots, il me sembla que Morgane gardait un sanglot au fond de sa gorge. Elle me regardait de temps en temps, et ses yeux verts accueillaient quelques vagues froides.

" On était dans le même lycée, alors nous avons commencé à traîner ensemble. Le 2 Janvier, tu pris 18 ans. Nous nous étions découvert tellement de points communs que tu commençais à t'ouvrir à moi, notamment vis-à-vis de ton attirance pour Jérémy. Alors, au fur et à mesure, nous nous sommes toutes les deux rapprochées de son groupe d'amis, jusqu'à ce qu'il te remarque. Ainsi, une amitié s'est forgée entre vous, et vous vous êtes mis ensemble milieu janvier. A cette même période, nous avions décidé d'emménager ensemble toi et moi. Julie était contrariée par notre relation, tandis que Blandine n'y voyait aucun problème. Tes liens avec Julie se sont alors tendus et ont fini par se briser. Blandine a préféré soutenir son amie plutôt que toi, et toutes les deux ont donc cessé de te parler. "

Jérémy et moi sortons ensemble ? Impossible... Julie et Blandine m'ont abandonné ? Ou c'est moi qui les ai laissé tomber pour être avec Morgane ? Mes liens avec cette fille seraient-ils si forts ? Je n'en ai pas envie... Julie et Blandine sont mes amies !

" Mais, la veille de la St Valentin, tu as eu un accident. Tu es partie en larmes de l'appartement. Tu courais sans vraiment regarder autour de toi, je pense, alors une camionnette t'a renversé. Tu es tombée dans le coma pendant quelques temps. Jérémy et moi venions te voir tous les jours. Puis, un matin tu t'es réveillé, et Laëtitia, l'infirmière en charge de ton dossier, nous a annoncé que tu avais subis un traumatisme crânien, provocant ainsi une amnésie chez toi. "

Pourquoi suis-je partie en larmes ? Et maman n'est même pas venue me voir quand j'étais dans le coma ? Est-ce que ce que me raconte Morgane est vrai ?

" - Je... J'aimerais comprendre. Est-ce que ma mère est venue me voir, pendant mon séjour à l'hôpital ? Et puis... pourquoi suis-je partie en courant de l'appartement ? balbutiai-je. "

Morgane et Jérémy s'échangèrent des regards avec Laëtitia. L'infirmière aux cheveux bordeaux hocha la tête. La brune sortit alors de son sac à main sombre, où il était dessiné en blanc un petit chat, une enveloppe qui avait déjà été ouverte. Elle me la tendit. De mes mains pâles et fines, je saisis le papier blanc cassé. En premier lieu, je lu l'adresse inscrite sur l'écrin.

" Mlle Kiana OLIVER
n° 10 Résidence Doux Fleuve.
VERJOY
02010 "

Je m'emparai de la lettre, et, dans ma tête, la lu.

"C'est une délicate mission qui m'incombe aujourd'hui. J'ai l'immense regret de vous annoncer le décès de Meryem Olsen, anciennement Meryem Oliver, survenu le 13 Février à Verjoy.

Très chère à nos cœurs, elle a su, tout au long de son existence, nous réchauffer par son amour, sa gentillesse et sa capacité à toujours être à l'écoute des personnes qui lui étaient chères. Elle laisse derrière elle une fille vers qui toutes nos pensées se tournent en ces moments difficiles.

Afin que nous puissions, tous ensemble, lui rendre un dernier hommage, une cérémonie aura lieu le 16 Février, à 10 heures en l'église de St. Clémence.

Affectueusement, Sébastien Siaka, maire de Verjoy."

Ne vous méprenez pas, malgré mon désir fou de croire que ce qui se passait était un cauchemar, je ne pu m'empêcher de pleurer. Mon cœur se serrait si fort que je pensais qu'il allait s'arrêter, et cela m'était égal. Morgane et Jérémy m'expliquaient, dans leurs mots que j'écoutais à peine, qu'il s'agissait de la réalité, « bien qu'elle soit dure à entendre ».

J'eu l'impression que l'on venait d'écrire cinq mois de ma vie, mais que ces maudits auteurs m'imposaient leurs goûts pour les drames, et, d'un air sadique, qu'ils me forçaient à vivre avec des plaies que j'avais oublié. Je ne pouvais y croire.

Maman est vraiment partie ?

Bientôt, j'eus l'impression que l'hôpital allait être inondé par le torrent de chagrin qui coulait de mes yeux dont la couleur, si belle selon ma mère, me semblait maintenant bien insignifiante, puisque personne d'assez important n'allait dorénavant trouver ce bleu joli.

Le pire adieu est celui jamais prononcé. C'est sûr. Je venais d'apprendre que depuis deux mois, je vivais sans la personne la plus chère à mes yeux. Maintenant que j'en avais pleinement conscience, il me paraissait impossible de continuer de respirer et d'agir comme si la vie valait le coût d'être vécu.

Maman venait de prendre une immense partie de mon cœur, et j'espérais bien qu'elle en prendrait soin et qu'elle me le rendrait quand je la rejoindrais.

Elle séchait mes larmes et voila qu'elle les provoquait.

Même son gratin de légumes que je détestais tant me manqua.

Tous les jours où je m'étais énervée contre elle étaient maintenant à mes yeux des jours regrettés, où j'aurais aimé m'excuser.

Elle avait tant fait pour moi et j'avais été incapable de m'en rendre compte. Je savais pertinemment que son divorce avec mon père l'avait fait souffrir. Celui-ci, une fois les papiers signés, s'était enfui en Argentine avec sa nouvelle compagne, laissant ma mère seule, avec moi, une adolescente emmerdante, sur les bras.

Je me rendis compte qu'elle était la seule à connaître la vraie moi. Même Julie et Blandine, mes deux (anciennes, apparemment) meilleures amies, m'apparaissaient des fois ignorantes à mon sujet.

Mon plus gros souhait s'échappa de mes lèvres gercées.

« Je veux mourir, s'il vous plaît. »

MorganeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant