Chapitre un

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     Les vagues se déplaçaient au rythme du vent qui les guidait. Elles se cognaient contre les rochers ténébreux en se tournoyant vers le ciel lumineux. Quel son cela faisait-il ? Depuis ce jour, l'envie de récupérer mon audition m'avait traversé l'esprit mais cela me serrait le cœur dès que j'y pensais. J'essayais souvent de me souvenir de telle ou telle chose faisait tel ou tel bruit.

     J'observais ce paysage apaisant et tentais de me rappeler le son des vagues. Des enfants s'amusaient au bord de l'eau en se jetant des gouttes, ils riaient à ce jeu si enfantin. Cela faisait six ans que je n'avais vécu un moment comme celui-ci, avec des amis. Cela faisait six années que cet événement bouleversant était arrivé dans ma vie pourtant j'avais le sentiment que cela datait d'encore plus loin.

     Dès que mes amis de primaire avaient su mon handicap, leur amitié s'était transformer en méchanceté, à l'instant même où les paroles de notre maîtresse avaient franchis ses lèvres. Et les années continuèrent dans ce courant de rejet. Mes parents espéraient que je passerais ma dernière année de lycée dans un nouvel environnement calme avec ce déménagement ainsi je pourrais faire de belle connaissance. Mais je n'étais pas du même avis qu'eux car je n'avais jamais été acceptée comme une personne ordinaire aux yeux de mes camarades.

     Une vibration de mon téléphone me sortit des vapes.


Maman, 18h45

           Nous allons bientôt manger, rentre vite.


     Je le rangeai puis me levai pour me diriger vers les rues où plusieurs maisons toutes différentes étaient collées. La mienne se trouvait à quelques mètres d'ici. Mes pas tapaient lourdement sur la chaussée mais aucun son ne vint à mes oreilles. Mon cœur cognait à un rythme léger dans ma cage thoracique, c'était le seul bourdonnement que je pouvais vraiment percevoir. Je m'immobilisai devant un foyer où un père de famille s'occupait d'un barbecue, ses lèvres s'ouvrirent en grand comme s'il criait, il devait communiquer avec sa femme qui apparut derrière la fenêtre ouverte.

      Je ne pourrais jamais vivre une vie banale comme la leur, je ne pourrais jamais m'exprimer avec mon futur mari comme eux le faisait. Je ne pourrais jamais entendre sa voix...

      Mes larmes commencèrent à refaire surface, je pris quelques minutes avant de me reprendre. Il ne fallait pas m'apitoyer sur mon sort, j'avais peut-être une chance d'avoir un avenir normal.


       Je continuai mon chemin et poussai la barrière de notre jardin. Une odeur de nourriture fit gargouiller mon ventre lorsque j'enjambai l'encadrement de la porte d'entrée. Je signalai ma présence à ma mère dans la cuisine, qui cette dernière me montra l'assiette dans le salon puis me sourit. Je la remerciai en baissant la tête. Après ce mauvais jour, je n'avais plus eu de conversation stable avec mes parents.


      Mon grand frère, Marius, dégustait déjà son repas. Lorsqu'il me vit, il me signa :


Alors ? Ta journée s'est bien passée, Alli ?


       J'acquiesçai et pris place à côté de lui. Marius avait été le seul à vouloir me comprendre, même après ma perte d'audition. Cela l'insupportait tellement de ne pas communiquer avec moi qu'un jour il m'avait emmené de force à un cours de langue des signes. Suite à deux ans d'apprentissage intensif, nous n'avions plus eu le besoin d'en apprendre plus. Mon espoir de continuer de vivre avait été ranimé à ce jour grâce à mon frère.

Le Monde Silencieux ( En Réécriture )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant