ceux du vent

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Nériam était en pleine discussion avec une antargonne d'un bleu-gris pâle servant des boissons sous les branches du saule lorsque Teriani l'appela. Elle semblait inquiète et observait frénétiquement les alentours. Il l'interpella :

- Salut. Je ne pensais pas te revoir avant longtemps.
- Une bourrasque s'est fracturée !
- Où ça ? Est-on en sécurité ?
- À la place des fontaines. Nous ne sommes pas en danger pour le moment mais il faudrait quitter la ville si tu ne veux pas faire de mauvaise rencontre.

Les plaines de l'ouest d'Éores étaient célèbres pour les violentes bourrasques qui y naissaient l'hiver et, parfois, se transformaient en portails​ d'où surgissaient des créatures de vent. Elles passaient rapidement d'autres portails et continuaient leurs migration mais, paniquée par le passage d'un monde fait de vent au nôtre, il arrivait qu'elles fassent de grands dégâts. Les voyages et trajets, même les plus petits, étaient donc bloqués par les premiers froids comme par temps de blizzard, bien qu'il neigeait rarement.
La douceur de l'automne nous avait, ainsi que les autres voyageurs, induit en erreur, et nous étions coincé dans la ville sans aucun abri.

- Je part vers les mangroves. Vous pourriez m'accompagner, leur proposa l'antargonne, comprennant nôtre problème. Nous ne devrions pas avoir de problème, la saison n'est pas trop avancée. Et, une fois là bas, vous pourrez toujours dormir dehors comme ici, les failles n'y apparaissent pas.

Ils acceptèrent l'invitation avec plaisir, et se dirigèrent vers la sortie au crépuscule. Les​ heures précédents et suivant le levé et le couché du soleil étaient sûres grâce aux changements de température innérant au changement de lumière. De même, la plupart des obstacles ou changement de température empêchaient l'apparition des failles, ce qui explique la présence d'habitations​ le long des affluents de l'Oriet. Ils empruntèrent la route longeant l'embouchure du fleuve. Le seul incident notable concernant ce trajet fut une rencontre avec un groupe de coupe-jarret. Lorsque un voyageur se dirigeant vers la ville leur annonça que la route n'était pas sûre, Teriani et Nériam cherchèrent les bandits chacun de leur côté. Heureusement pour eux, Nériam les trouva en premier. Il réussit à les faire jouer, gagna puis perdit l'intégralité de ses possessions sous les yeux de ses compagnes médusées et leurs fit les poches discrètement avant de s'en aller tranquillement vers les mangroves. Les bandits avaient eu de la chance, Teriani était un peu moins douce avec les obstacles.
Le voyage, à la fois calme et enrichissant, se termina trois jours après l'apparition de la première​ faille.

Nous arrivâmes dans un grand village. La capitale des mangroves frontalières ne payait pas de mine.
Quelques bicoques s'attachaient aux paletuviers géants formants la mangrove.

- C'était déjà comme ça à ton époque, demanda Teriani à Nériam en chuchotant.
- Je ne sais pas, j'habitais dans un trou paumé des marais de l'ouest d'Afrang. Qui comportait cinq bâtiments en tout et pour tout.

Ce ne fut que quand l'antargonne plongeat que nous avons compris que la ville était nettement plus haute que large. Les arbres gigantesque étaient couverts d'habitations de bois des racines jusqu'aux feuilles. Sous l'eau, le réseau​ racinaire, plus dense que la canopée, abritait la plupart des bâtiments. Les antargons, étant amphibiens et aimant le sel et l'eau autant que la chaleur, avait créé une ville aux rues sous-marines. Heureusement pour Teriani, les bâtiments étaient creux et secs, et la plupart étaient accessibles de la surface.
L'antargonne se présenta comme étant Albre Cala de la maison Émaride. Ce fut en face de cette maison qu'elle nous laissa, nous assurant qu'elle chercherai un logement pour deux, et que nous devrions revenir au coucher du soleil. Les académiciens choisirent de visiter la ville, et Teriani interrogea Nériam sur les dénominations antargonnes.
Celui-ci lui fournit un cours magistral de quelques heures, dont les informations les plus importantes sont notées ci-dessous :

Les antargons sont très attaché à une communauté particulière. Elle réunit des individus vivant sous le même toi, ou voisins. Cette communauté, nommée ''maison'', est unie par des liens aussi forts que ceux du sang. En général, un antargon change de maison quatre ou cinq fois dans une vie. Il existe des antargons ne vivants pas dans leur maison, mais s'y rattachant sentimentalement. Comme la répartition des pouvoirs a lieu entre les maisons (maison regnante, maisons nobles , ...), c'est le cas des ambassadeurs. Pour faire partie d'une maison, il suffit que l'ensemble de la maisonnée vous accepte et vous connaisse. Nériam se nommait, avant de partir pour l'Académie, Nériam Teliva de la maison Ctilimne, seule maison de son village. Il pourrait s'appeller Nériam Teliva de l'Académie, mais tout le monde l'appelle simplement Nériam, comme s'il était un étranger. C'est la dénomination de ceux qui n'ont pas de maison. Sans être un proscrit, cela le prive d'un soutien sur lequel tout antargon peu normalement compter. D'un autre côté, au vu de sa situation actuelle, ça l'arrangeait.
Les divers détails, exceptions, rumeurs, potins et exemples que Nériam évoquat furent aussitôt oubliés par Teriani comme par moi.

Lorsque le monologue didactique commença à tourner à l'apitoiement sur leurs conditions respectives, ils revinrent sur leurs pas. Le labyrinthe racinaire qui servait de rues ne leur facilita pas la tâche, mais ils purent atteindre la maison Émaride peu avant les dernières lueurs du jour.

L'antargonne pâle n'avait pas trouvé de chambre libre, mais son logement était assez grand pour trois. En entrant dans la pièce par une simple trappe dans une galerie d'écorce descendant entre les racines aériennes, l'elfe et l'antargon s'arrétèrent, stupéfaits. La chambre était un tore aplatti de bois doré et vivant, enroulé autour d'une racine. La sève, par un procédé alchimique, avait cristallisé en une résine dure et transparente. Un bassin peu profond, en ellipse, occupait un sixième de la boucle. À l'opposé, une baie vitrée donnait quelques brasses sous la mer. Un champ de force modulable servait de vitre, un de ceux capables d'arrêter ou de laisser passer à peu près n'importe quoi. Sur la paroi extérieure, des plaques de bois rétractables pouvaient former des meubles, et des incrustations de pierres lumineuses éclairaient chaudement la pièce. Toute la partie intérieure était dédiée à une représentation d'une cité elfique et de son reflet dans un lac. À sa vue, Teriani manifesta une grande émotion. Elle le cacha cependant à la perfection. Sa pression artérielle fut le seul indice que je pu déceler, et uniquement parce qu'elle s'était avancée en me traversant.

- Equru, murmura-elle.
- Vous le connaissiez, demanda Albre ?
- J'ai entendu parler d'un antargon nommé Equru Cala, appartenant à la maison Gmantru.
- Il est le fondateur de la maison Léiné. La maison des télépathes. Et la mienne, avant que je rejoigne la maison Émaride. Il suivit, les elfes blancs dans la forêt de Lihn et, à son retour, il fonda sa maison à l'orée, ce qui lui valu son nom. Il attira rapidement des disciples, et sa maison est maintenant incontournable dès que l'on cherche à s'instruire sur un domaine particulier. Elle forme une mémoire collective qui remonte à sa création. J'ai créé cette fresque en emménageant ici, d'après un souvenir de la ville double de Equru lui-même.
Pourquoi le connaissez-vous comme Equru Cala de la maison Gmantru ? Il est célèbre pour la maison Léiné.
- Souvenez-vous. Parmi ses professeurs, il y eu une elfe qui me ressemblait. Nos familles sont liées.

Sous les ténèbres scintillantesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant