1941
Stalingrad, U.R.S.S.Sur les décombres, entre les cadavres, un homme. Un pied cassé, l'autre arraché de son corps. Pourquoi marche-t-il encore ?
L'espoir anime jusque les morts, tant sa force est puissante. L'homme en croise un autre. Leur uniforme ne sont pas de la même couleur, mais lorsque leur regard se croisent, ils le détournent, feignant de n'avoir rien vu. L'espoir est universel.
À bout de force, l'homme rampe, traînant ses genoux meurtris dans le sang, la boue et l'eau sale. Il prie alors qu'il entend des coups de feu. Ses oreilles sifflent, il n'y porte plus attention. Il est devenu sourd à la mort. Rien ne l'atteint, il est invincible. Il se dissimule parmi ses camarades tombés avant lui, et arrive finalement dans sa tranchée.D'autres hommes, dans la tranchée. Des hommes inhumains. L'un d'eux tient son bras disloqué à l'aide de celui qui lui reste, les yeux emplis d'une infinie douleur, bien plus que physique. Tous les autres sont vides, lassés des visions qui leur sont imposées. Plus aucun d'eux n'est vivant.
L'homme s'avance, le sang battant aux tempes comme un tambour. Il n'entend plus son cœur.Finalement, un trou dans le mur. Voilà l'espoir : un tas de lettres, arrivées la veille. En quatre mois de combat, l'homme n'en n'a jamais tenu une entre ses huit doigts restants. Jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à un papier journal déchiré, rapportant d'horribles nouvelles, mais qui semble sentir la rose, à cet instant précis. Une rose poussant au milieu des entrailles, au milieu de la mort, au milieu de rien.
L'homme le déplie, plus que jamais le sang pulse à travers ses artères. Un simple mot est inscrit en lettres noires, d'une écrite grossière et maladroite : отец. Il ne sait pas lire, alors il demande de l'aide au premier soldat non aveugle qu'il trouve. Ce mot signifie père.L'homme sourit, son cœur s'arrête et tout à coup, il tombe dans la poussière, mort.
1940
U.R.S.S.Un cri déchira le silence qui s'était abattu sur le village. Cependant, personne ne se leva de son lit pour s'informer quant à l'origine de la plainte. Le temps où la solidarité et l'entraide règnaient entre les habitants était révolu. Les hommes qui peuplaient les maisons en ruine avaient le regard vitreux, l'estomac vide et la bouche figée dans une expression de lassitude.
La catastrophe naturelle qui avait balayé toute trace d'humanité n'était autre que la peur.
À quoi bon dépenser son énergie à secourir un voisin ? Ils n'étaient plus que des fantômes tétanisés par un futur qu'ils ne maîtrisaient plus.Le second râle, plus long et criard encore, la doyenne du village, Mavra, l'entendit. Elle sortit à grande peine des couvertures dans lesquelles elle s'enroulait, et tituba jusqu'à la sortie de sa maisonnette.
- Qui c'est q'peut bien s'égosiller à c'tte heure là.. maugréa-t-elle.
Puis elle pensa à la jeune femme enceinte dont le mari était parti au front, Vlada, et elle accéléra le pas. Elle traversa le village qui ne ressemblait plus à celui de son enfance, et elle entra sans frapper chez la jeune femme.
Un nouveau cri déchirant lui parvint et le temps de remplir une bassine d'eau, la doyenne était au chevet de Vlada.- Respire à fond ma p'tite, allez, l'encouraga Mavra en lui mouillant le front.
Vlada leva à peine les yeux vers la doyenne. Elle savait que seule Mavra pouvait lui venir en aide, et que les autres habitants faisaient semblant de ne pas l'avoir entendu hurler.
- Merci, soupira-t-elle entre deux contractions douloureuses.
- Arrête d'parler et fais-moi sortir c'bébé.Une larme coula le long de la joue de Vlada, qu'elle ignora. Elle aurait tellement voulu que son mari soit à ses côtés, lui qui désirait tellement cet enfant... Son visage lui revint en mémoire et elle ferma les yeux, puisant de la force dans les traits de celui qu'elle aime tant.
Alors Mavra se mit à chanter. Ces quelques notes de musique résonnèrent dans les airs, et Vlada crut qu'elle faisait de la sorcellerie, car sa douleur s'estompa.
Après une vingtaine de minutes, Vlada sentit un coeur battre contre le sien.
- Lyubov, mumura-t-elle, épuisée.
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Lyubov
General Fiction1945, U.R.S.S. Lyubov a cinq ans lorsque sa mère et elle quittent la Russie en guerre. De son enfance, elle n'a retenu que la peur qui lui nouait le ventre et l'empêchait de dormir. Lyubov voyagera partout, mais ses confrontations à la violence, l'...