3 - sueurs froides

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1944
U.R.S.S.

  Lyubov se réveilla en sursaut aux alentours de quatre heures du matin. Un bruit énorme avait retenti dans le ciel et elle avait cru un instant que la maison leur tombait sur la tête. Elle coura vers le lit de sa mère et la secoua violemment.

  - Maman ! Maman ! hurla-t-elle quand Vlada ouvrit ses yeux fatigués.

  La jeune femme mit quelques temps à réaliser ce qui se déroulait, puis sa bouche se déforma dans une expression d'horreur.

  - File chez Mavra et cachez-vous dans sa cave ! Dépêche-toi !

  Lyubov esquissa un mouvement puis demanda, visiblement inquiète :

  - Et toi maman ? Tu dois venir !
  - J'arrive dans une minute, ma chérie. Fais-moi confiance, d'accord ?

  Lyubov s'attarda encore une seconde, imprimant l'image de sa mère sur sa rétine, puis elle courut à en perdre haleine vers la maison de Mavra. Entre deux foulées, elle leva les yeux vers le ciel qui hurlait et aperçut de grosses machines au-dessus des nuages, et des cailloux d'acier qui en tombaient.
  D'autres habitants avaient déjà pensé à s'abriter chez la doyenne, la seule qui possédait une cave.

  - Lyubov ! s'écria la doyenne, soulagée de voir sa protégée saine et sauve. Où est ta mère ?
  - Elle arrive.

  À bout de souffle, Lyubov se laissa guider vers la cave, où elle s'assit entre les autres rescapés. Mavra la couvrit avec une couverture en laine, et remonta aussitôt pour accueillir les nouveaux habitants.

  - Descendez tous à la cave et restez calmes surtout ! Vous s'rez en sécurité.
  - Notre maison s'est écroulée ! Nous avons tout perdu ! pleurait une jeune femme, un bébé dans les bras.

  Mavra se répondit pas. Elle semblait très calme et pourtant elle s'inquiétait du sort de Vlada. C'est alors qu'elle la vit arriver en titubant, les bras chargés d'une caisse.

  - Descends vite à la cave ! lui indiqua Mavra avant de se réfugier elle dans l'abri de fortune.
  - J'ai amené quelques couvertures et de quoi manger. On ne sait pas combien de temps vont durer les bombardements.
  - Merci, j'crois que t'es la seule à y avoir pensé, souffla Mavra, reconnaissante.

  Lyubov avait froncé les sourcils en entendant sa mère.

  - Les quoi ? s'enquit-elle en grimpant sur ses genoux.
  - Les ennemis nous bombardent, répondit Vlada, les yeux fixant le plancher. Mais ici, nous sommes en sécurité.
  - Et notre maison ?
  - Nous allons sûrement la perdre, ma chérie.

  Voyant la mine déconfite de Lyubov, elle renchérit d'une voix peu convaincante :

  - Mais on en fera une nouvelle, ensemble. Avec une grande chambre, rien que pour toi, d'accord ? Essaye de dormir, maintenant.

  Lyubov obéit et s'allongea dans un coin de la cave, sur sa couverture. Elle ferma les yeux et tenta de trouver le sommeil, mais les pleurs de la femme qui avait perdu sa maison et les hurlements des enfants l'empêchèrent de dormir. Elle se demanda pourquoi les ennemis détruisaient leur maison, puis elle pensa aux petits insectes, impuissants face aux bombes.

1955
Océan Indien

  Lyubov se réveilla en nage, et se précipita sur le pont du minuscule bâteau pour vomir longuement. La mer était déchaînée ce soir là.

  - Pas facile de dormir quand on a l'impression d'être sur une montagne russe, pas vrai ? intervint un homme d'une vingtaine d'années, dans un mauvais anglais.

  Il était accoudé sur la barrière et tenait une cigarette entre ses doigts fins. Une mèche rebelle lui tombait devant les yeux, qu'il écartait avec un soupçon d'agacement.
  Lyubov se tourna vers lui en s'essuyant la bouche du revers de la main.

  - Russe ? demanda-t-elle, sceptique. Les montagnes ne bougent pas, en Russie.

  L'inconnu partit dans un rire éclatant, qui calma la nausée de Lyubov. Dans l'incompréhension la plus totale, un rire s'empara d'elle aussi, et elle se demanda quand est-ce qu'elle avait ressenti ça pour la dernière fois.

  - Ce sont des manèges. Il y en a beaucoup en Europe, et c'est un peu comme ce bâteau, mais en drôle.
- D'où viens-tu ? voulut savoir Lyubov.

  Avant qu'il ne puisse répondre, l'adolescente fut secouée d'un nouveau spasme et elle se pencha de nouveau par dessus la barrière. Quand elle eut fini, l'européen la prit par le bras et la guida vers sa cabine. Il lui offrit un gant humide pour se nettoyer et un verre d'eau.

  - Merci, soupira Lyubov. Ça fait du bien.

  Il désigna le fauteuil en face du sien et elle prit place en observant la cabine. Elle était certainement l'une des plus luxueuses du petit bâteau, car elle comportait une salle de bain sommaire.

  - Je viens d'Allemagne, souffla le jeune homme, comme s'il en avait honte. Au fait, je m'appelle Anton. Et toi ?
  - Lyubov.
  - Tu viens de Russie, c'est ça ?

  Elle hocha la tête, et tenta de se remémorer des images de son pays natal, en vain. La seule qui lui vint à l'esprit fut celle de sa mère, lui criant d'aller se cacher chez Mavra, alors que les ennemis jetaient des cailloux en acier sur leur maison.

LyubovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant