2 - trouvaille

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1940

U.R.S.S.

  Dès le lendemain de la naissance de sa fille, Vlada écrit une brève lettre à son mari pour l'en informer. Sachant pertinemment qu'elle serait censurée - cette annonce pourrait le pousser à abandonner le combat pour revenir aux côtés de sa famille - elle s'empara d'un morceau de papier journal et y annota la mention отец.
  Elle se chargea également d'offrir les quelques rares fruits qu'elle possédait à Mavra, sans qui elle n'aurait probablement pas réussi à donner la vie.

  Lyubov était allongée dans une peau de bête que son père avait ramenée de la chasse, lorsque la guerre n'avait pas encore éclatée. Ce temps semblait si lointain désormais. Vlada avait toujours un oeil sur son premier enfant, ne sachant pas comment prendre bien soin d'elle : la nourrir et lui changer sa couche ne lui semblait pas suffisant.
  Une fois par jour, Mavra venait leur rendre visite, et donnaient quelques conseils à la jeune mère. Remarquant la mélancolie de Vlada, elle lui faisait souvent remarquer :

  - R'garde-toi, Vlada. T'es jeune et t'as donné naissance à une splendide p'tite fille. Vous avez toute la vie d'vant vous. T'as des centaines de raisons d'sourire.
  - Je vais perdre mon mari, murmurait Vlada, les yeux cherchant à éviter ceux de la doyenne. Il va se faire tuer.

  Cependant, elle savait que Mavra disait la vérité. Comment pouvait-elle éduquer son enfant si elle s'apitoyait sur son sort ? Lyubov devait prendre pour modèle une femme forte, peu importe les circonstances. Elle fit mine de se donner une contenance en bombant le torse, mais un long soupir en sortit.

  - Merci pour tout ce que tu as fait, Mavra. Je vais prendre soin de cette gamine en priant pour que mon mari revienne sain et sauf.

  Mavra hocha vaguement la tête et sortit de la petite maison sans rien ajouter.

1943
U.R.S.S.

  Lyubov, du haut de ses trois ans, était une petite fille passionnée par tout ce qui l'entourait. Elle courait après les rares moutons restants du berger pour tenter de les approcher, s'allongeait dans l'herbe afin d'observer les insectes...
  Vlada l'observait depuis la porte de leur maison, un petit sourire aux lèvres. Si, malgré ses prières quotidiennes, son mari n'était pas encore rentré du front, elle avait Lyubov à ses côtés. Souvent, la petite venait la réveiller tôt le matin pour lui montrer ses nouvelles trouvailles : des cailloux roses, un brin d'herbe dans lequel elle sifflait, une poignée de vers de terre...

  Lyubov passait beaucoup de temps chez la doyenne du village, comme si un lien s'était tissé entre elles dès sa naissance. Elle s'asseyait au fond d'un grand fauteuil rapiècé, et Mavra lui lisait quelques pages d'un vieux livre.

  - Comment va ta mère ? demandait de temps en temps Mavra.
  - Elle joue tout le temps avec moi !

  Alors Mavra passait une main dans les cheveux de Lyubov, chassant de son esprit le lourd secret qu'elle portait.

1956
Japon

  À bout de forces, elle se hissa sur la berge. Ses vêtements étaient trempés et elle, transie de froid. Elle passa une main sur son visage et palpa ses lèvres violettes et gonflées.
  Alors elle releva la tête et aperçu un homme, âgé et plutôt petit de taille qui s'approchait d'elle. Il lui adressa la parole en Japonais, et elle du faire appel à de lointains souvenirs pour lui répondre :

  - Je viens de l'autre côté de la mer, le bâteau s'est échoué à quelques mètres du rivage.

  Le vieil homme hocha pensivement la tête et lui fit signe de le suivre. Ils marchèrent en silence pendant une dizaine de minutes, jusqu'à arriver devant une coquette maison, dont le jardin était entretenu avec soin.
  Elle émit un léger sifflement pour complimenter l'homme, qui sourit, dévoilant quelques dents jaunies par le tabac.

  - Kazuko ! appela-t-il en poussant la porte.

  Une femme encore plus âgée encore descendit les escaliers, un tricot à la main. En posant les yeux sur l'étrangère en piteux état, elle poussa un cri de surprise et lui apporta une serviette.

  - Sèche-toi, je vais te faire couler un bain bien chaud, lui conseilla-t-elle avant de se précipiter vers la baignoire.

  Le vieil homme s'affaira aux fourneaux sans rien ajouter, et apporta bientôt une assiette de riz et du boeuf séché.

  - Tu dois avoir faim, mange autant que tu veux.
  - Merci beaucoup...

  Après avoir vidé son assiette, elle glissa dans le bain brûlant et s'y endormit. Lorsqu'elle ouvrit les yeux deux heures plus tard, elle remarqua que ses sauveurs s'étaient endormis sur le canapé. Elle sourit et déposa sur la table à manger le collier de jade, puis elle sortit dans la rue.
  Elle marcha pendant une heure, comme si désormais elle ne pouvait plus rien craindre. Sans surprise, les rues étaient désertes. Elle fut finalement prise de fatigue et s'allongea sur le perron d'un hôtel de luxe.
  Alors à des milliers de kilomètres de sa terre natale, et désespérement seule, Lyubov s'endormit.

LyubovOù les histoires vivent. Découvrez maintenant